Les révoltés de Dieu
pouvait porter atteinte au statu quo de leurs fonctions,
tous hommes honorables qu’ils étaient, Sadducéens ou Pharisiens, membres du
Sanhédrîn, zélés collaborateurs de l’Empire romain.
De toute évidence, les paroles de Jésus dépassent de loin ce
qu’attendait un auditoire juif conventionnel. Quand il dit à ses disciples d’aller
enseigner toutes les nations , il fait fi de l’exception
juive : il s’adresse à l’ensemble des peuples du monde, et cela, les Juifs
ne lui pardonneront pas, eux qui se croient les seuls dépositaires du message
divin. Le complot des élites juives alliées aux forces romaines d’occupation
prend forme, dès le début de la prédication de Jésus.
Pendant des siècles, le peuple hébreu a été dépositaire du « message ».
Mais l’a-t-il répandu autour de lui ? Non. Les Hébreux se sont enfermés
sur eux-mêmes et ont cru qu’ils étaient les seuls à détenir ce message alors qu’ils
avaient la mission de le répandre autour d’eux. Les coutumes hébraïques, notamment
l’endogamie et le lévirat, en sont une preuve évidente. Certes, cela a permis
aux Hébreux, puis aux Juifs de la diaspora , de
conserver leur identité. Mais à quel prix ? Si l’on en croit les évangiles
canoniques, Jésus se dresse en face d’eux et les défie avec la violence qui lui
est coutumière, considérant qu’ils ont trahi . Et
Jésus n’est pas tendre dans ses paroles : « Vous annulez la parole d’Élohîm
à cause de votre tradition. Hypocrites ! il a bien été inspiré par vous
Iesha’you [Isaïe], en disant : ce peuple me glorifie de ses lèvres, mais
leur cœur est loin de moi. Ils me rendent un culte vain. Les enseignements qu’ils
enseignent ne sont que préceptes humains . »
( Matthieu, XV, 6-9, trad. Chouraqui )
Ici se marque la révolte de Jésus contre Dieu, plus exactement
contre l’idée que les humains, et en particulier les juifs de son époque, se
font de Dieu, sous quelque nom qu’on le présente. Et c’est dans l’évangile de
Matthieu que ses diatribes sont les plus virulentes, les plus féroces, les plus
révoltées, et finalement les plus anticléricales qui soient :
« Sur le siège de Moïse siègent les Sopherîm [les “Scribes”]
et les Peroushîm [les “Pharisiens”]. Donc, tout ce qu’ils vous disent, faites-le
et gardez-le. Seulement ne faites pas selon leurs œuvres. Oui, ils disent et ne
font pas, ils lient des charges lourdes et les imposent sur les épaules des
hommes ; mais eux-mêmes ne veulent pas les mouvoir de leur doigt. Ils font
toutes leurs œuvres pour être remarqués par les hommes. Oui, ils gonflent leurs
tephilîn [phylactères, petites boîtes renfermant les paroles essentielles de la
Loi], ils rallongent leurs tsitsît [franges, houppes attachées aux coins du
manteau] ; ils aiment la première place dans les dîners, les premières
stalles dans les synagogues, les salutations dans les marchés, et à être
appelés par les hommes Rabbi [“maître”] […] Vous dévorez les maisons des veuves
et vous prolongez la prière pour l’apparence. […] Hypocrites ! vous qui
dîmez la menthe, le fenouil, le cumin ; mais vous laissez le plus grave de
la Tora : la justice, la merci, l’adhérence. Il faut faire ceci sans
laisser cela, guides aveugles qui filtrez le moucheron et avalez le chameau.
[…] Hypocrites ! vous ressemblez à des tombes chaulées [“sépulcres
blanchis”] qui au-dehors semblent belles, mais qui, au-dedans, sont pleines d’ossements
de morts et de contaminations. […] Serpents, engeance de vipères, comment
échapperez-vous au jugement, à la Géhenne ? » ( Matthieu, XXIII, 2-27, trad. Chouraqui .)
Ces invectives contre la classe sacerdotale que Jésus côtoie
sans cesse et à laquelle il s’en prend avec une indignation rageuse, n’empêchent
nullement Jésus d’être également aux prises avec lui-même. S’il est Dieu, il
est aussi homme. Le voici donc au désert pour une période de jeûne et de
méditation. L’évangile de Marc est très court sur cet événement. Jean l’ignore
complètement. Le récit complet se trouve seulement dans les évangiles de
Matthieu et de Luc, ainsi que dans l’apocryphe Vie de
Jésus en arabe . « Ieshoua, rempli par le souffle sacré, revient du
Iarden [= Jourdain]. Il est conduit dans un souffle au désert, quarante jours, éprouvé
par le diable. Il ne mange rien pendant ces jours. Quand ils sont terminés, il
a faim [138]
Weitere Kostenlose Bücher