Les révoltés de Dieu
droit d’inventaire sur la tradition. On connaît la réaction dégoûtée du
pieux Tertullien (160-240), par ailleurs adepte de l’hérésie montaniste, mais
néanmoins « docteur de l’Église », qui déclarait sérieusement (bien
qu’il fût marié et père de famille) que nascimur
inter urinam et faeces , c’est-à-dire, vulgairement traduit, que « nous
naissons entre la pisse et la merde ». C’est une réalité. Mais elle est
biologique et nous n’y pouvons rien. Pourquoi, dans ces conditions, considérer
la femme comme le « péché » par excellence ? Les Pères de l’Église
ont tout fait pour rabaisser la femme, pour la diaboliser ,
et ils ont soigneusement expurgé les évangiles de tout ce qui pouvait montrer
le rapport privilégié entre Jésus et la femme. Cependant, ils n’ont pas pu tout
gommer, comme en témoigne ce passage de l’évangile de Luc : « Et il
advint qu’il [Jésus] cheminait à travers villes et villages, prêchant et
annonçant la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu. Les Douze étaient avec lui, ainsi
que quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies :
Marie, appelée la Magdaléenne, de laquelle étaient sortis sept démons, Jeanne, femme
de Chouza, intendant d’Hérode, Suzanne et plusieurs autres, qui les assistaient
de leurs biens. » ( Luc, VIII, 1-3, trad. Bible
de Jérusalem .)
Nous y voilà. Non seulement l’on apprend que Jésus, lors de
ses errances et de ses prédications, était entouré de femmes, mais on comprend
beaucoup mieux comment vivait cette troupe d’ illuminés qui parcourait la Palestine vers l’an 30 de notre ère, en annonçant un Royaume
de Dieu qui n’était pas de ce monde , contrairement
à ce qu’escomptaient les Juifs, y compris certains disciples, qui voyaient en
Jésus un roi rétablissant l’hégémonie hébraïque sur la terre promise.
Une première constatation s’impose : Jésus et sa troupe
ne pouvaient pas vivre de l’air du temps. Il n’est jamais question de mendicité
dans les évangiles. Jésus était reçu chez les bourgeois de son temps. Il était
lui-même membre de ce qu’on appellerait aujourd’hui la « bonne société »,
y compris celle des Pharisiens qu’il décriait pourtant avec virulence. Jésus et
sa troupe de disciples avaient beau parcourir les routes de la Palestine, ils n’étaient
pas des va-nu-pieds au sens de « vagabonds »
bien qu’ils marchassent pieds nus, ce qui explique l’importance du « lavement
des pieds » dans les rites hospitaliers. La troupe de Jésus n’était pas
une cohorte anarchique de doux rêveurs et de purs esprits, comme l’imagerie
populaire – et officielle de l’Église romaine – le fait croire : il y
avait une organisation très sérieuse. Preuve en est, le rôle de Judas, qui
était trésorier du groupe. Il fallait de l’argent pour subvenir aux besoins
quotidiens indispensables, tant pour la nourriture que pour l’hébergement. Il y
avait donc des « sponsors ». Et l’évangile de Luc est précis sur l’identité
de ces « sponsors » : les femmes qui
les assistaient de leurs biens.
Donc Jésus n’avait pas autour de lui que douze disciples
hommes. Il avait aussi des femmes. Ce détail, trop souvent ignoré ou
volontairement passé sous silence, a son importance. Il ne s’agit pas ici des
« Saintes Femmes » qu’on présente au pied de la croix, il s’agit des
femmes qui ont suivi Jésus dans ses prédications et qui ont été à la fois ses
disciples et ses bienfaitrices. Parmi elles, c’est le personnage de Miriâm la Magalît , plus connue sous les noms de « Magdaléenne »,
« Marie-Madeleine » et « Marie de Magdala » qui se détache
nettement et pose des problèmes d’interprétation fort complexes.
Qui est donc cette femme qui semble avoir joué un rôle primordial
dans la vie de Jésus ? Il faut bien reconnaître que tout est confus à son
sujet et que les rédacteurs, transcripteurs et censeurs des textes canoniques
ont tout fait pour l’occulter, car sa présence auprès de Jésus dérangeait l’image
qu’on voulait imposer d’un Christ pur esprit et insensible aux tentations de la
chair. Mais le fait est là : la première personne à qui Jésus ressuscité
se manifeste n’est pas l’un de ses apôtres hommes, c’est Marie de Magdala ( Jean, XX, 11-17 ). Ce n’est certainement pas par hasard.
Mais c’est là où s’installe la controverse, car
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