Les révoltés de Dieu
. Le diable lui dit :
si tu es Ben Élohîm [le Fils de Dieu], dis à cette pierre de devenir du pain. Ieshoua
lui répond : c’est écrit, l’homme ne vit pas seulement de pain. Et le
conduisant en haut, il [le diable] lui montre en un rien de temps tous les
royaumes de l’univers. Le diable lui dit : Je te donnerai toute autorité
sur eux et leur gloire. Oui, elle m’a été livrée et je la donne à qui je veux. Pour
toi donc, si tu te prosternes devant moi, elle sera à toi toute. Ieshoua répond
et lui dit : c’est écrit, prosterne-toi en face de Iahvé-Adonaï, ton
Élohîm. Sers-le, lui seul ! Il [le diable] le conduit à Ieroushalaîm [Jérusalem],
il le met au faîte du sanctuaire ; il lui dit : Si tu es Ben Élohîm, jette-toi
d’ici en bas. C’est écrit. Il [Élohîm] prescrit à ses messagers [anges] qu’ils
te gardent. Et, sur leurs mains, ils te soulèveront, pour que ton pied ne
heurte pas une pierre. Ieshoua répond et lui dit : Il est dit, n’éprouve
pas Iahvé-Adonaï, ton Élohîm. Ayant épuisé toute épreuve, le diable s’écarte
jusqu’au temps fixé [139] . » ( Luc, IV, 1-13, trad. Chouraqui. )
Ce récit de la tentation du Christ doit être lu avec discernement,
car sa valeur est symbolique. Jésus se retire au désert pour jeûner, ce qui ne
signifie pas sa présence matérielle dans un endroit désertique : il s’agit
essentiellement d’un repli sur soi-même, n’importe où, pour faire le vide , pour retrouver ce que la
philosophie bouddhiste appelle la « vacuité », c’est-à-dire la faculté de recevoir l’illumination divine – et
malheureusement, parfois, l’inspiration satanique – puisque rien n’est fondamentalement
bon ou mauvais. C’est une technique bien connue à toutes les époques, sous tous
les climats et dans toutes les civilisations. Cette vacuité, Jésus la recherche
ardemment car, en tant qu’humain, il ne sait pas encore très bien quelle est la
part du divin en lui. D’où l’épreuve du désert et du jeûne qu’il s’impose
volontairement comme le ferait n’importe quel prétendant à une connaissance
supérieure.
Il est évident que le « diable » dont il est
question dans ce récit n’est pas un personnage réel qui lui serait apparu pour
le tenter. C’est tout simplement une projection de Jésus lui-même, son côté noir en tant qu’humain. Le jeûne et le séjour au
désert lui permettent de sortir cette composante noire de sa personne, tant physique que psychique. On assiste alors à un débat
entre la volonté de Jésus d’accomplir sa mission jusqu’au bout, avec toutes les
souffrances que cela suppose, et une solution de facilité qui consisterait à
dire : « puisque je suis Dieu, je peux faire tout ce que je veux ».
Le moment crucial est celui où, toujours symboliquement, il se trouve en haut
du Temple : nouveau Nemrod, il peut devenir le maître du monde en se
prosternant devant Satan, son double noir , communément
appelé le « Prince de ce monde ». Mais Jésus comprend alors quelle
est la vanité de Satan, il le voit dans toute sa réalité [140] et il le chasse par la fameuse formule exorciste du « vade retro Satanas ! » tant de fois
reprise dans la tradition et le rituel de l’Église romaine.
Désormais, sa nature humaine purifiée par l’épreuve, Jésus
peut accomplir sa mission, tout en sachant qu’elle le conduira inéluctablement
au supplice de la croix. Et cela parce qu’il est un révolté
de Dieu . Tout au long de ses pérégrinations, ponctuées par des
événements divers, y compris par des fuites, il va accumuler les preuves de sa
révolte et ainsi alimenter la haine de tous ceux qu’il dérange, aussi bien les
Juifs traditionalistes que les occupants romains. Il prêche et opère des
guérisons même le jour du sabbat, ce qui apparaît proprement scandaleux. Il
discute avec les théologiens juifs qui le guettent patiemment et l’accusent
ouvertement de blasphémer. Il fréquente des gens qui sont considérés comme
indignes par la bonne société juive, des pécheurs, des gens de rien, des femmes
de mauvaise vie, des Samaritains honnis par les Judéens aussi bien que par les
Galiléens. Et son enseignement, il le précise bien, s’adresse à tous les peuples et non pas seulement au peuple
élu. Cela, on ne lui pardonne pas.
En plus, il y a ses rapports avec les femmes. La société hébraïque
traditionnelle est patriarcale, pour ne pas dire
Weitere Kostenlose Bücher