Les révoltés de Dieu
ainsi que de tous ceux qui pactisent
avec lui – est d’être privé de la vision de Dieu. Quoi qu’il en soit, le récit
biblique insiste sur la présence de l’Ennemi à cette assemblée. Et cela va même
très loin, car c’est Yahvé lui-même qui provoque Satan à propos de Job le Juste
et va jusqu’à lui proposer un pari quelque peu scandaleux qu’on pourrait
qualifier de « partie de poker menteur » ( Job,
I, 8-12 et II, 1-7 ). Certes, Satan ne gagne pas cette partie, puisque, après
les nombreuses et douloureuses épreuves subies par Job, Yahvé consacre la
victoire de ce dernier et triomphe devant l’Adversaire, mais on ne peut s’empêcher
de penser que le jeu aurait très bien pu tourner autrement et consacrer la
victoire de celui dont le nom hébraïque signifie « accusateur ».
L’essentiel à retenir du texte du Livre de Job est que le « Satan »
appartient toujours à la cohorte des « fils d’Élohîm » et qu’il y a
sa place. On trouve l’équivalent de cette situation dans la tradition germano-scandinave,
où le personnage de Loki est un des dieux Ases, bien qu’il soit un personnage
malfaisant, fauteur de troubles, de rivalités et de trahisons et, en dernière
analyse, responsable du Ragnarök : il est
en effet le rassembleur de toutes les puissances malfaisantes et un éternel « accusateur »
au sein même de la communauté divine [11] . Il est proprement et
étymologiquement le diable , c’est-à-dire « celui
qui se jette en travers » du chemin que doivent parcourir tous les existants , spirituels autant que matériels. Créature
du dieu primordial, il ne peut être anéanti, car le dieu primordial ne peut
nier sa création sans se nier lui-même. Il faut donc composer avec lui et lui
assigner son rang et ses prérogatives dans la hiérarchie des entités
supérieures. Mais son libre arbitre n’explique pas complètement le fait qu’il
se soit voué au mal et à la destruction. Il faut donc supposer qu’à un certain
moment de l’histoire mythique, ce personnage est entré en conflit avec le Père,
comme dirait un psychanalyste. Il y a donc eu révolte contre l’ordre établi.
Cette révolte apparaît dans de nombreuses mythologies. D’après
la Théogonie du poète grec Hésiode, texte
malheureusement plus « littéraire » que fondamental, une race de
Géants (ou de Titans, car dans les récits grecs, la terminologie est bien
confuse) fut engendrée par Gaïa, la déesse Terre. Certains de ces Titans
devinrent des dieux, résidant sur les hauteurs du mont Olympe, tels Khronos, puis
Zeus et ses frères et sœurs, constituant le panthéon classique gréco-romain. Jaloux
des prérogatives de ces dieux, les Titans tentèrent d’escalader le ciel pour
provoquer les hôtes de l’Olympe. Ils entassèrent des montagnes les unes sur les
autres. Mais les dieux furent vainqueurs. Cependant, et c’est là que la plus
grande confusion règne dans les récits mythologiques grecs, les Géants
voulurent venger les Titans et se lancèrent à leur tour contre les dieux dans
une lutte acharnée qu’on appelle la « gigantomachie ». Or Gaïa avait
donné aux Géants une herbe qui les rendait invulnérables. Mais Zeus éteignit le
soleil et la lune, et profita de l’obscurité pour cueillir cette herbe, moyennant
quoi les Géants furent tous massacrés.
On retrouve ces « géants » diaboliques, révoltés
contre les dieux, dans la mythologie germano-scandinave, puisque ce sont eux
qui menacent sans cesse Asgard , le domaine des
dieux et qui, juste avant le Ragnarök , seront
rassemblés par Loki et contribueront à la destruction du monde par le feu et
par l’eau. On les retrouve également dans la mythologie celtique telle qu’elle
est évoquée dans les récits irlandais : ce sont les Fomoré , monstres mystérieux qui perturbent
systématiquement l’harmonie que tentent d’établir les dieux et les hommes sur
la terre d’Irlande [12] .
La tradition mythologique assyro-babylonienne, qui a bien
souvent influencé celle des Hébreux, se fait l’écho d’une révolte contre les
divinités primordiales, notamment dans l’épopée qu’on intitule Enouma Elish . Le héros en est le roi-dieu de Babylone,
Mardouk, et le texte raconte comment il a pu accéder au pouvoir suprême après
une guerre inexpiable contre des dieux rebelles, et comment il s’est cru, à ce
moment-là, obligé de remodeler le cosmos. Cela n’est pas sans rappeler
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