Les révoltés de Dieu
pense,
des entités aquatiques mais guettent les navigateurs pour les faire échouer sur
les rochers où elles se tiennent. Tous ces êtres fantastiques ne sont que des formes
données par les humains à des « esprits » qui sont peut-être des
puissances réelles, mais qui, par essence, ne sont pas représentables.
Le mot « esprit » provient du latin spiritus et désigne tout ce qui n’est pas matériel , donc tout ce qu’on ressent comme existant
mais qui n’est pas accessible aux sens. L’équivalent grec est noos , qui semble bien correspondre à l’hébreu ruah , signifiant « souffle » et, par
extension, « vie ». C’est dans ce sens qu’il faut considérer l’Esprit
Saint tel qu’il est décrit dans la tradition chrétienne. Encore cette
description est-elle réductrice, car l’Esprit Saint de la Trinité chrétienne
est aussi un « incitateur », un « professeur », littéralement
un « provocateur ». Et ce n’est pas sans raison qu’on l’a représenté
sous forme de langues de feu lorsqu’il a été envoyé sur les apôtres, le jour de
la Pentecôte afin de leur conférer le « don des langues ». L’esprit
est en effet le « feu divin » qui anime et transforme les êtres et
les choses. C’est là où l’esprit est également le génie : le mot « génie »,
issu du latin genius et qui désigne dans la
tradition romaine une entité indéfinissable nommée auparavant numen , se rattache à une racine indo-européenne qui
a donné le verbe grec gignomai et le verbe
latin nascor , littéralement « je nais ».
Or cette racine, signifiant indubitablement la « naissance », est
liée aux termes qui expriment l’idée de connaissance , gnosis en grec (« savoir, connaissance »), cognosco en latin (« je sais, je connais »).
Tout se passe comme si la « connaissance » était intimement dépendante
de la « naissance », ou inversement. Et, ce qui est le plus étrange, le
verbe latin nascor est déponent, c’est-à-dire
que, malgré sa forme passive, il a un sens actif. On peut en tirer cette
conclusion : nous naissons passivement, mais par notre naissance, nous
avons accès à la connaissance. À ce moment du questionnement, il est impossible
de ne pas faire référence à l’épisode de l’arbre de la Connaissance, car la
transgression commise par Adam et Ève, quelles qu’en soient les conséquences, débouche
sur la connaissance et équivaut à une véritable naissance [5] . Mais quel est donc cet
esprit, ou ce génie, qui a suggéré à Ève de transgresser l’interdit ? À l’analyse
objective du texte de la Genèse, on s’aperçoit que le Serpent n’est pas un ange,
encore moins un démon : il n’est qu’une « créature » incarnée, mais
rusée, c’est-à-dire douée de connaissance [6] .
Les anges, les démons, les génies et les esprits ne sont pas
des créatures incarnées, même si parfois ils peuvent prendre forme humaine pour
intervenir dans certaines circonstances et se manifester ainsi aux existants . Ce sont réellement des intermédiaires
entre le Créateur, quel qu’il soit, et les créatures incarnées. Alors pourquoi
faut-il qu’il y ait des intermédiaires bénéfiques et maléfiques ? Pourquoi
Dieu qui, par principe, ne peut être que parfait quel qu’il soit, a-t-il créé des êtres imparfaits ,
donc mauvais . La question n’est pas seulement
théologique. Elle ressort également de la métaphysique et tout simplement du
regard que les humains peuvent projeter sur un univers en perpétuelle mutation.
Il y a deux réponses possibles à cette question. Ou bien ces
êtres imparfaits qu’on nomme les démons existaient de tout temps, coexistaient
par conséquent avec le dieu parfait et ses anges, ou bien ces êtres imparfaits
ont été créés par Dieu, tout comme les anges, mais étant donné qu’ils étaient
doués de liberté, ils ont choisi délibérément de se séparer de Dieu. C’est pourquoi
on est en droit d’évoquer une hypothétique « révolte des anges ».
La religion iranienne, du moins celle qu’on appelle le mazdéisme,
prêchée probablement au VII e siècle avant
notre ère par le réformateur Zarathoustra (Zoroastre), issue de la même religion
primitive indo-européenne qui a donné aussi le brahmanisme, a choisi la
première réponse. En effet, si l’on en croit l’ Avesta ,
recueil de livres sacrés mazdéens, il existe deux principes qui s’opposent
fondamentalement.
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