Les révoltés de Dieu
des anges a été reprise dans un texte plus récent
(et qui a été rejeté de leur corpus canonique aussi bien par les juifs que par
les chrétiens) : l’étrange et confus Livre d’Énoch. Il est attribué à l’un
des premiers patriarches, père de Mathusalem, qui aurait vécu trois cent
soixante-cinq ans ( Gen. V, 18-25 ), mais n’est
qu’une compilation de différentes traditions orales, rédigée en araméen ou en
hébreu au II e siècle de notre ère, et
dont on possède encore une traduction en copte et une autre en vieux slavon.
En fait, c’est seulement dans les écrits néo-testamentaires
que se précisent des éléments, encore bien fragmentaires, sur la lutte
entreprise par l’Ennemi et ses anges rebelles contre Dieu et ses créatures. L’essentiel
se trouve dans l’Apocalypse attribuée à l’apôtre Jean, et qui est probablement
l’un des plus anciens textes véritablement chrétiens : « Et c’est la
guerre au ciel. Mikhaël et ses messagers font la guerre au dragon. Le dragon et
ses messagers guerroient mais ils ne sont pas les plus forts ; leur lieu
ne se trouve même plus au ciel. Il est jeté, le dragon, le grand, le serpent, l’antique,
appelé diable et Satan, l’égareur de l’univers entier. Il est jeté sur la terre
et ses messagers sont jetés avec lui. » ( Ap. XII,
7-9, trad. Chouraqui .)
Il convient de décrypter le plus honnêtement possible ce
texte. L’Apocalypse n’est pas forcément, comme on l’entend généralement, une
prophétie sur l’avenir. Étymologiquement, le mot signifie « révélation »,
et il est bien certain que cette révélation peut concerner aussi bien le passé
que l’avenir. Les cataclysmes décrits à travers toute l’œuvre ont peut-être été
vécus depuis la nuit des temps. Le rédacteur parle toujours au présent [15] ,
ce qui est normal puisqu’il s’agit d’une « vision ». Il décrit donc
ce qu’il voit dans l’instant, à la façon d’un film qui se déroule sous ses yeux.
Il ne dit pas quand se passent les événements
dont il est le témoin et, trop absorbé par sa vision, il ne pense même pas à
dater ce qu’il relate. Pour lui, cela semble n’avoir aucune importance, son but
essentiel étant de démontrer que l’univers est soumis à d’incessants
bouleversements dont la cause première est évidemment Satan, le perpétuel Dragon
qui a engagé contre Dieu un combat qui durera jusqu’à la fin des temps.
Dans cette optique, il n’est pas absurde de considérer le
court récit sur la guerre de l’archange Michel et ses anges fidèles contre
Satan et ses affidés comme rendant compte d’une situation primordiale, en cet illud tempus , ce temps des origines, auquel font
référence les traditions universelles. Ce n’est pas au 1 er siècle
de notre ère, au large de Patmos, que se déroule cette guerre, ni plus tard en
ces lieux ou ailleurs, mais autrefois , au
moment même où Satan, pour quelque raison que ce soit, s’est révolté contre
Dieu et a entraîné avec lui une multitude d’anges. Et c’était bien entendu à
Michel, dont le nom hébreu signifie « qui est comme Dieu », de
prendre la tête des « armées » d’anges demeurés fidèles au Créateur
et de combattre sans pitié l’ accusateur , puisque
telle est la signification du nom de Satan. Et le texte précise bien que le
lieu où sont maintenant Satan et les siens « ne se trouve même plus au
ciel ». Cela prouve qu’auparavant, ils étaient dans le ciel. Ainsi se
dessine le thème devenu très littéraire de la chute de Lucifer dans les
Ténèbres.
Mais ces Ténèbres sont localisées sur la Terre, le texte est
précis sur ce point. La brève description du dragon Satan ne l’est pas moins :
« Et voici un grand dragon, un rouge. Il a des têtes, sept, et des cornes,
dix, et sur ces têtes sept diadèmes. Sa queue traîne le tiers des étoiles du
ciel : il les jette sur la terre » ( XII, 3-4 .)
Tout cela est bien étrange. D’abord, ce dragon fait penser à la tradition
grecque de l’Hydre de Lerne, combattue victorieusement par Hêraklès qui joue en
fait le même rôle que l’archange Michel. Ensuite, il y a le détail du tiers des
étoiles que Satan jette sur la Terre. Qu’est-ce que cela peut bien signifier ?
La tentation est grande d’interpréter cette « guerre dans le ciel »
comme la réminiscence d’un bouleversement cosmique, telle l’explosion d’une supernova
ou l’approche d’une
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