Les révoltés de Dieu
d’autres
mythes sémites, plus particulièrement ceux du pays de Canaan, où se sont établis,
après l’exode, les Hébreux. Certes, cette mythologie cananéenne est confuse, parce
que morcelée, répartie en d’innombrables variantes selon les tribus, mais un
thème y apparaît comme dominant. Le dieu principal est El, qui a beaucoup de
traits communs avec le dieu Enlil des Mésopotamiens [13] et avec les dieux grecs Ouranos et Khronos. Il est à la fois père et créateur, parfois
guerrier, mais le plus souvent représenté comme celui qui détient la connaissance
et assure l’harmonie et la justice. Or, dans les versions ougaritiques du mythe,
il est relégué au second plan par le jeune Baal au terme d’une lutte acharnée
avec celui-ci. El est proprement castré, comme le sera Ouranos dans la
tradition grecque. Il appelle au secours ses deux fils, Yam et Mot. Ce dernier
tue Baal, mais se fait déchiqueter par la déesse Anat. Tout s’arrange avec la
résurrection de Baal et la reconstitution du corps de Mot. C’est une réconciliation
générale : dans sa sagesse, El a compris que sa défaite était le signe d’un
ordre nouveau qu’il doit faire respecter en sa qualité de divinité primordiale.
Ainsi, Baal régnera pendant les périodes de fertilité, et Mot pendant les mois
de sécheresse et de stérilité.
Il y a là des similitudes évidentes avec la tradition
grecque. Le dieu primordial est donc Ouranos, le « Ciel », équivalent
de l’Indien Varuna. Avec Gaïa, la « Terre », il engendre les Cyclopes,
les Titans et les Géants. Mais, imbu de son pouvoir et craignant de le perdre, il
enferme ses enfants dans le sein de la Terre. Alors, l’un de ses fils, le Titan
Khronos, poussé à la révolte par Gaïa elle-même, engage la lutte contre lui, le
détrône et le châtre. Khronos épouse sa sœur Rhéa, qui est aussi une
représentation de la Terre, mais d’une Terre déjà fertile et non plus brute. Avec
elle, il engendrera une troisième génération de dieux, les Olympiens. Mais, afin
de ne pas être détrôné par l’un d’eux, comme un oracle l’avait prévu, il dévore
tous ses enfants. Cependant, Rhéa sauve Zeus en faisant avaler à Khronos une
pierre entourée de langes. Zeus, élevé secrètement en Crète, finira par se
révolter contre son père, le castrera et l’obligera à vomir les enfants qu’il
avait avalés : ainsi naissent véritablement les dieux olympiens qui se
partagent le Ciel et la Terre sous l’autorité suprême de Zeus le « Foudroyant ».
Quant à Khronos, il est contraint à l’exil. Selon les versions, il s’installe
quelque part vers l’Ouest, soit dans le Latium où il deviendra le paisible Saturne
de l’Âge d’Or, soit dans une île merveilleuse en plein océan qui n’est pas sans
évoquer la célèbre « île des Pommiers » ( Insula
Pomorum , Émain Ablach , Avalon ) de la tradition celtique tardive.
Ces récits mythologiques appellent bien des remarques. Les
révoltes et les usurpations de pouvoir sont nettement à l’image des phénomènes
cosmiques qui marquent des changements dans l’ordre du monde, et dont Plutarque
reconnaissait qu’ils se traduisaient par des « fables » inventées par
les « sages ». L’exemple le plus caractéristique est un mythe des
Lettons, peuple indo-européen, à propos du soleil et de la lune. La lune, divinité
mâle, épouse le soleil, divinité femelle, et tous deux engendrent de nombreux
enfants : les étoiles. La lune s’étant révoltée contre son épouse, le
soleil la poursuit sans relâche dans le ciel dans l’intention de la couper en
morceaux avec son épée. Mais la lune est immortelle et renaît sans cesse. Ainsi
sont expliquées les différentes phases de la lune. Ainsi est justifié ce qui
semble être une course perpétuelle entre les deux astres. Cette allégorie est remarquablement
claire dans sa démonstration.
Mais il y a bien d’autres allégories de ce genre dans toutes
les traditions. Souvent, un animal mange le soleil ou la lune, ce qui est
supposé expliquer les éclipses. Les orages sont également provoqués par des dieux
irrités, tels le Zeus grec (ou le Jupiter tonnant des Latins), l’Adad
babylonien, maître des pluies, des vents et de la foudre, le Thor
germano-scandinave qui parcourt le ciel orageux sur un char tiré par des boucs,
ou encore l’Indra de l’Inde védique, lui aussi maître de la foudre, et
chevauchant le cheval-soleil. Selon les
Weitere Kostenlose Bücher