Les révoltés de Dieu
comète qui aurait, à un moment donné de l’histoire géologique,
menacé toute vie sur la Terre. Le fait que le récit insiste sur l’apparition d’une
femme (« enveloppée de soleil, la lune sous ses pieds », XII, 1 ) sur le point d’accoucher et que poursuit le
dragon dans le but de lui dévorer son enfant serait de nature à valider cette
interprétation rationaliste. Mais il faut se méfier des textes apocalyptiques :
ils sont volontairement obscurs (à cause des censures exercées en tout temps
par les pouvoirs en place) et ont toujours plusieurs significations qui peuvent
être chacune d’une logique implacable.
L’exégèse chrétienne voit dans cette femme l’image du peuple
de Dieu (juifs et chrétiens confondus) confronté non seulement aux persécutions
de la nouvelle Babel, c’est-à-dire l’Empire romain, représenté sous l’aspect de
la fameuse Bête [16] , émanation du Dragon, mais
également aux « abominations » (au sens biblique du terme) dont la
civilisation romaine se rend coupable à travers les pays conquis. Il ne faut
pas oublier en effet que l’Apocalypse est un ouvrage polémique d’une
incontestable violence dirigée contre ceux qui se croyaient à l’époque les
maîtres du monde. Cependant, l’image de la femme « enveloppée de soleil, la
lune sous ses pieds » évoque tout autre chose.
En effet, cette image, devenue classique dans l’iconographie
chrétienne pour représenter la Vierge Marie, rappelle curieusement la
description de la Déesse Soleil dans de nombreuses traditions mythologiques. On
peut penser à la walkyrie Brunhild endormie à l’intérieur d’un cercle de
flammes et réveillée par Sigurd-Siegfried, d’autant plus que, dans la primitive
version scandinave, c’est dans un château environné de flammes en plein ciel
que se trouve le personnage. Il semble que, dans les périodes archaïques, le
soleil ait toujours été considéré féminin et la lune masculine, ce qui se
retrouve encore dans les langues germaniques et celtiques contemporaines. La
signification de cette allégorie est claire : le soleil est la mère qui dispense la chaleur, la lumière et l’énergie
à la lune, donc à ses enfants, notamment aux existants mâles qui sont les agents d’exécution des volontés divines. C’est ce qui
ressort du célèbre mythe d’Yseult la Blonde, et de son prototype irlandais Grainné,
dont le nom est un dérivé du terme gaélique grian ,
« soleil [17] ».
Ce n’est pas tout. Cette image peut également être
interprétée comme la représentation de la planète Vénus (dont le nom latin
provient d’une racine indo-européenne exprimant la beauté) qui apparaît
toujours dans le ciel en concordance avec le soleil et la lune. Or le nom
ancien donné à cette planète particulièrement brillante, dite aussi étoile du
Berger, était Lucifer, terme latin signifiant « porte-lumière ». Et
là, s’il n’est pas niable que ces versets de l’Apocalypse soient à l’origine de
la tradition chrétienne de la chute de Lucifer dans les abîmes, telle que cette
chute est décrite par différents Pères de l’Église, on tombe dans une confusion
des plus totales, et cela à cause des thèses émises par les gnostiques, surtout
ceux d’Alexandrie, aux 1 er et II e siècles
de notre ère.
En effet, la doctrine gnostique, en dépit de toutes ses variantes,
peut être résumée ainsi : à l’aube des temps, la divinité créatrice était
d’essence féminine, la Pistis Sophia , donc la « Sagesse »,
la « Connaissance ». Mais à la suite de la rébellion de certaines des
entités spirituelles qu’on nomme les Éons , cette Pistis Sophia a été détrônée et exilée par l’ Archonte – assimilé au dieu mâle Yahvé-Adonaï – qui
a usurpé le pouvoir suprême et peuplé l’univers d’âmes enfermées dans des corps
matériels. La Pistis Sophia attend le moment
où toutes ces âmes souffrantes se débarrasseront de la matière contraignante et
mauvaise, et, ayant vaincu l’ Archonte , pourront
la rétablir dans son éternel Royaume de Lumière.
Le processus de la révolte et de la chute de Satan est ici
complètement inversé, du moins dans son interprétation mythologique. Et ce n’est
plus le Satan hébraïque, donc l’ accusateur , le négateur ,
qui est le héros de cette épopée fantastique, mais une divinité féminine porte-lumière représentée symboliquement par la
planète Vénus et désignant
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