Les révoltés de Dieu
en parallèle l’ontogenèse, expérience individuelle non
communicable, et l’orthogenèse, qui est le lot, ou l’apanage, de l’espèce tout
entière. Il faut donc naître – avant de connaître – et assumer brutalement le changement qui se produit lorsque le nouvel existant absorbe une quantité insupportable d’oxygène
qui lui brûle les poumons et le fait hurler de souffrance. On en vient à
reconnaître que si Adam et Ève n’avaient pas fauté, l’évolution
de l’univers – et de tous ceux qui y participent – eût été un échec .
Or l’ échec d’un Dieu, quel
qu’il soit, est insupportable, et absolument contre nature. Il fallait donc qu’Adam
et Ève, symboles d’une humanité primitive, se fissent éjecter de l’univers
utérin, donc de la divinité androgyne primordiale, pour être investis d’un pouvoir
redoutable, celui de façonner la terre stérile en glèbe féconde. Avant d’aborder
le problème proprement métaphysique, il faut maintenant faire référence à ce
que la paléontologie nous a appris des origines de l’homme.
Quelles que soient les querelles suscitées par l’ancienneté
de la présence humaine à travers le monde, il est à peu près certain que l’origine
de l’humanité se situe en Afrique orientale, au bord de l’océan Indien, quelque
part entre l’Éthiopie, le Mozambique et le Zimbabwé. Contrairement aux
commentateurs patentés de la Bible qui, depuis des siècles, placent le jardin d’Éden
en Mésopotamie ou dans les régions voisines, c’est plutôt dans cette Afrique
orientale qu’il faut aller le chercher, dans une période qui peut s’étaler de
quelques siècles à quelques millénaires, voire à des millions d’années. Dans
cette optique, le temps n’existe pas, et s’il est chiffré (comme dans les six
jours de la création), ce ne peut être que symboliquement. De toute façon, le monde , terme issu du latin mundus qui signifie « beau » n’a pas pu
être réalisé en quelques heures, il est le résultat d’une « maturation »
à partir d’un schéma que la divinité – quelle qu’elle soit – a tracé à un
instant alpha en prévision d’un terme, un oméga , que refusent obstinément les scientifiques
mais qui est la pierre angulaire de l’édifice métaphysique dont se revendiquent
les fondateurs de religions et les philosophes.
Il s’agit bien entendu d’hypothèses dont les conclusions, suite
à de nouvelles découvertes, peuvent toujours être remises en cause du jour au
lendemain. Le scénario élaboré en 1983 par l’anthropologue Yves Coppens à
partir du squelette de la désormais célèbre Lucy, doit être modulé, mais il n’en
reste pas moins acquis que l’Afrique orientale est un des berceaux de l’humanité.
Il n’est donc pas absurde d’y placer le Paradis terrestre. C’était certainement
une région tempérée et suffisamment arrosée pour permettre une végétation
abondante, favorable à l’établissement d’hominidés cueilleurs et mangeurs de
fruits. Or, il y a à peu près huit millions d’années, la grande faille qui
correspond aux vallées du Rift a subi une série de déformations qui ont
entraîné la formation de hauts plateaux, lesquels ont constitué une barrière
infranchissable aux pluies fécondantes qui provenaient de l’Ouest, c’est-à-dire
du lointain océan Atlantique. Le résultat de ces mutations géologiques a été, on
s’en doute, une modification climatique fort importante, bien que répartie dans
le temps. Autrement dit, la sécheresse a transformé le verger primitif en
savane et même en désert stérile, obligeant ainsi des populations entières à
émigrer vers des régions plus accueillantes, ou tout au moins capables d’assurer
un minimum de nourriture et de confort climatique.
C’est cette migration – sans doute très lente et répartie
sur des millénaires – que paraît représenter symboliquement l’exclusion d’Adam
et Ève du Paradis terrestre. Les études actuelles tendent à démontrer que cette
migration, au moins la plus importante d’entre elles, s’est faite vers le nord,
en direction de la haute vallée du Nil, région privilégiée qui a dû accueillir
de nombreux existants depuis les temps les
plus reculés. Mais, la surpopulation étant de plus en plus intense, des groupes
humains ont continué à émigrer vers le nord, atteignant la basse vallée du Nil
et se séparant à cet endroit en deux branches principales,
Weitere Kostenlose Bücher