Les révoltés de Dieu
origines incapable de
prévoir ce que sa « créature » allait faire de sa liberté. En outre, ce
problème débouche sur une interrogation anthropologique concernant les plus
anciennes racines de l’humanité ainsi que sur une réflexion géologique et
astrophysicienne approfondie sur les phénomènes naturels qui ont marqué l’univers
depuis le big-bang.
Tout cela est d’une extrême complexité et, si l’on s’en
tient aux textes, d’une effarante ambiguïté. Bien sûr, il ne s’agit pas, au
départ, de considérer Adam et Ève comme deux individus créés de toutes pièces
par le démiurge, qu’il soit Prométhée, Yahvé ou toute autre divinité des
panthéons les plus divers : Adam et Ève représentent une humanité
primitive qui passe de l’état d’inconscience à l’état de conscience, autrement
dit qui passe de l’état d’ hominidé à celui d’ homo sapiens . La transgression commise par Adam et
Ève est donc la réminiscence du fameux « chaînon manquant » qui
sépare le singe de l’homme.
Mais puisqu’il s’agit d’un mythe ,
ce qui ne veut aucunement dire que cela ne corresponde pas à une réalité cachée
ou impossible à formuler, il convient de l’explorer dans les moindres détails. On
peut d’abord admettre qu’Ève n’est pas la première femme (la première étant
Lilith, créée directement par Yahvé), mais la
seconde, créée par Yahvé à partir d’Adam. On doit ensuite écarter l’aspect
moral de la transgression d’Adam et Ève, cette notion de péché commis par nos soi-disant premiers parents. Cette
interprétation purement morale a permis aux différentes classes sacerdotales
issues du message biblique d’appuyer et de justifier leur pouvoir sur les
peuples de la Terre. Il est inutile d’insister ici.
Le texte de la Genèse, s’il est polyvalent dans toutes les
interprétations qu’on en a données, est on ne peut plus simple dans son
expression. Voici donc Adam et Ève, l’homme et la femme, dans un endroit clos, un
« paradis » au sens persan de « verger ». Ils vivent de
manière insouciante – et fatalement inconsciente – au milieu des arbres qui
produisent en abondance tous les fruits nécessaires à leur nourriture. C’est un
véritable « Âge d’Or » où les animaux et les humains vivent en bonne
intelligence et parlent le même langage. Adam et Ève sont frugivores, pour ne
pas dire végétariens ou même végétaliens [43] . Il n’est pas question
de tuer un animal pour en manger la chair. Les fruits de la terre sont là pour
subvenir à tous les besoins de l’existence. Cette notion d’un « paradis
terrestre », immanente dans l’inconscient humain, perdure de génération en
génération, et la psychanalyse ne s’est pas privée d’y voir la réminiscence de
l’état utérin de l’ existant , avant la tragédie
et le « traumatisme de la naissance » si cher à Otto Rank, l’un des
plus tumultueux disciples de Freud. Bref, Adam et Ève vivent au milieu de l’ Éden dans un état de jouissance absolue de l’instant,
dans ce que, depuis, les théologiens ont appelé la « béatitude » et
que les psychologues préfèrent nommer « inconscience ».
Adam et Ève peuvent donc vivre sans
rien faire en se nourrissant des fruits qui sont à leur disposition, quelle
que soit la saison. Dans ce jardin édénique, le temps n’existe pas. Cependant, la
voix de Yahvé-Adonaï leur fait savoir de ne pas manger du fruit d’un seul de
ces arbres. Or il ne s’agit pas ici d’un interdit au sens propre du terme, mais d’un avertissement :
« Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, afin de ne pas mourir »
( Gen. III, 3 ). Il y a là une nuance qui mérite
d’être soulignée, car on interprète habituellement ce qui va se passer comme
une « désobéissance » à un interdit divin. C’est une révolte contre
la parole de Dieu que vont accomplir Adam et Ève en suivant le conseil du
tentateur, qu’il soit le serpent symbole de ruse ou de science, Satan, le
révolté, Lilith, la femme serpent, ou simplement l’esprit de curiosité inhérent
à tout humain. Et c’est alors que « les yeux des deux se dessillent, ils
savent qu’ils sont nus » ( Gen. III, 7 ). Qu’est-ce
que cela veut dire exactement ?
Il faut d’abord prendre en compte l’ambiguïté du mot hébreu arûm qui signifie à la fois « nu »,
« rusé » et « astucieux », c’est-à-dire en fait,
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