Les révoltés de Dieu
dite sacerdotale parle
d’un an et dix jours, ce qui n’a d’ailleurs aucune importance puisque tous ces
chiffres symboliques peuvent être interprétés selon les critères du temps où
ils ont été choisis par les compilateurs de ces légendes.
Quelle que soit la durée du déluge, « Élohîm se
souvient de Noah, de tout vivant, de toute bête avec lui dans la caisse. Élohîm
fait passer un souffle sur la Terre, les eaux se modèrent, les sources de l’abîme,
les vannes des ciels sont barrées, la pluie des ciels est écrouée. Les eaux
retournent de la Terre, en aller et retour. Au terme des cent cinquante jours, les
eaux manquent. À la septième lunaison, au dix-septième jour de la lunaison, la
caisse se pose sur le mont Ararat » ( Gen. VIII, 1-4 ).
On remarquera qu’il est fait expressément mention de la double origine de ce
déluge : « les sources de l’abîme » et « les vannes des
ciels » ce qui nous renvoie incontestablement au chaos primitif, avant la
grande séparation des eaux d’en haut et de celles d’en bas. L’harmonie du monde
créé est rétablie. C’est alors que Noé « ouvre la fenêtre de la caisse »
et envoie un corbeau en éclaireur. Le corbeau revient parce qu’il n’a pas
trouvé d’endroit où se poser. Noé fait ensuite sortir une palombe qui, elle
aussi, revient. Il attend sept jours et renvoie la palombe : cette fois, elle
revient avec un rameau d’olivier dans son bec. Noé comprend alors que le déluge
est terminé. Il fait sortir sa femme, ses trois fils Sem, Cham et Japhet, les
épouses de ceux-ci et tous les animaux purs et impurs de l’arche. Et Élohîm lui dit :
« Qu’ils foisonnent sur la Terre, qu’ils fructifient et se multiplient sur
la Terre » ( Gen. VIII, 17 ).
Qui est donc ce Noé que Dieu sauve du désastre et à qui il
confie le repeuplement de la Terre ? Et que représente en réalité ce
coffre, cette arche, qui flotte au-dessus des eaux ? C’est sans doute le
moment de formuler des hypothèses qui peuvent paraître choquantes mais qui n’en
sont pas moins conformes aux données de la psychologie des profondeurs, cette
« psychanalyse » qui imprègne, qu’on le veuille ou non, toute
tradition mythologique. Si l’on prend le récit biblique à la lettre, Noé est un
homme parmi les hommes, une sorte de « patriarche » comme le seront
Abraham et ses descendants. Mais l’époque est antédiluvienne, et représente
donc une humanité primitive où les patriarches
ne jouent aucun rôle. Il ne s’agit pas de nomades éleveurs de troupeaux, mais d’une
collectivité humaine confrontée à des désordres d’origines diverses. C’est le
point de départ à retenir pour aller plus avant dans l’exploration du mythe.
Le rapport entre Noé et le « coffre » est
essentiel. En effet, l’image du coffre ou de l’arche (mot qui provient du latin arca , désignant une cavité intérieure et
quelque peu secrète) est totalement emblématique, surtout si on la considère
flottant sur les eaux, ou plutôt entre deux eaux .
Elle enferme dans ses flancs la création tout
entière, animale et humaine (les impurs comme les purs, ce qui paraît plutôt
surprenant). Elle se présente comme une matrice, un utérus, contenant la vie
potentielle.
Étant donné les traditions d’une société patriarcale comme
celle des Hébreux, on peut reconnaître en Noé une masculinisation d’une antique
divinité féminine et maternelle ; en l’occurrence, une certaine déesse
sémite Nuah , déesse solaire parèdre du dieu
lunaire Sin (devenu Yahvé chez les Hébreux), qui
résidait sur le mont Sinaï, là même où, plus tard, en contact direct avec
Élohîm, Moïse recevra les Tables de la Loi.
L’arche de Noé ne serait donc finalement que l’utérus de la
Déesse Mère fécondé par la semence du dieu mâle Sin dans le but de faire renaître une création avortée ou rongée de l’intérieur. On
peut d’ailleurs rapprocher le nom de Noé (Noah en hébreu) de la racine
sémitique nhm qui évoque le « réconfort »
ou la « restauration ». Noé ne serait-il pas le « restaurateur »
de la création, autrement dit l’image masculinisée d’une déesse de la
re-naissance ?
La suite des événements relatés dans la Bible rend plausible
cette hypothèse qui, malgré sa résonance insolite, n’est pas contraire à l’orthodoxie
judéo-chrétienne. Une fois le déluge terminé et l’arche posée sur le mont
Ararat,
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