Les révoltés de Dieu
Yahvé dit clairement à Noé de « refaire le monde », c’est-à-dire
de pratiquer un nouvel accouchement. D’ailleurs, une fois sorti de l’arche, Noé
se hâte de bâtir un autel et d’y offrir un sacrifice en l’honneur de l’Éternel.
Celui-ci « sent la senteur agréable » ( Gen.
VIII, 21 ) et prononce des paroles qui équivalent à un nouveau pacte
entre lui et ses créatures. C’est, de la part de Yahvé, une promesse solennelle :
« Je n’ajouterai pas à maudire encore la glèbe à cause du Glébeux : oui
la formation du cœur du Glébeux est un mal dès sa jeunesse. Je n’ajouterai pas
encore à frapper tout vivant comme je l’ai fait. Tous les jours de la Terre
encore, semence et moisson, froidure et chaleur été et hiver, jour et nuit ne
chômeront pas. » ( Gen. VIII, 21-22, trad. Chouraqui .)
Il s’agit donc d’un nouveau pacte, d’une seconde chance donnée
non seulement à l’humanité mais à la Création tout entière. Yahvé, en quelque
sorte, lève la malédiction qu’il avait lancée sur la glèbe et confie celle-ci
aux existants , à charge pour eux de la faire
fructifier par tous les moyens : « Nulle chair ne sera plus tranchée
par les eaux du Déluge, il ne sera plus de déluge pour détruire la Terre. »
( Gen. IX, 11 .) L’arc-en-ciel [77] est le témoignage donné par Yahvé de cette nouvelle alliance. Le déluge n’est
donc pas, contrairement à l’opinion courante, un châtiment divin, mais un acte
de régénération au profit des existants de
toute catégorie. La comparaison qu’on peut faire entre le récit biblique et d’autres
textes, aussi bien grecs que mésopotamiens, conforte cette hypothèse.
Il est incontestable que le récit hébraïque, quelles que
soient ses variantes, provient d’une antique tradition assyro-babylonienne que
l’on connaît fort bien grâce à deux textes conservés sur de précieuses
tablettes, le Mythe d’Atrahasis , qui date du
XVII e siècle av. J.-C., et la célèbre Épopée de Gilgamesh , rédigée en akkadien vers les
XVIII e ou XVII e siècles
av. J.-C., dont on possède quelques fragments ainsi qu’une version complète
assyrienne du VII e siècle av. J.-C. qui a
été retrouvée dans les vestiges de la bibliothèque de Ninive, fondée et bâtie
par le roi Assurbanipal. À ces deux textes, il faudrait ajouter le Mythe d’Erra , composé au début du 1 er millénaire
avant notre ère, où l’on voit Mardouk, le dieu-roi de Babylone, qui explique qu’un
jour où il quittait la demeure des dieux, le lien qui maintenait l’équilibre de
l’univers se défit, entraînant le surgissement des eaux souterraines et déclenchant
d’effroyables tempêtes qui obscurcirent le ciel et voilèrent les étoiles. Il y
a là, vraisemblablement, le souvenir lointain d’un cataclysme provoqué par le
passage d’une comète près de la Terre ou bien par une série d’éruptions
volcaniques qui modifièrent considérablement l’aspect du globe terrestre.
Le récit sur le déluge constitue un simple épisode – ajouté
à la version primitive – de la vaste Épopée de
Gilgamesh . Le héros, d’après des généalogies légendaires, est un roi d’Ourouk
(ou de Kloullab) qui accomplit des exploits fantastiques. Un jour qu’il est
dans la cité de Shuruppak, il est reçu par le roi Uta-Napishti (expression
akkadienne signifiant « j’ai trouvé ma vie »). Ce roi, qui se
présente comme l’un des rares rescapés du déluge, fait à son hôte un récit
détaillé de ce qui s’est passé au moment de l’invasion des eaux.
Il commence d’ailleurs par préciser qu’il s’agit là d’une
chose secrète, d’un mystère des dieux. Comme Yahvé, le maître des dieux
babyloniens, ici appelé Adad, a décidé de détruire les existants , tant animaux qu’humains, coupables d’avoir
rompu l’harmonie du monde. Mais le démiurge Enki veut sauver une partie de la
création. Il ordonne à Uta-Napishti, qu’il considère comme juste et fidèle, de
construire un cube divisé en sept étages partagés en neuf compartiments, et d’y
embarquer quelques spécimens de toutes les espèces vivantes, ainsi que sa
famille et de nombreux « techniciens » qui garderont ainsi intactes
les traditions antérieures. Pendant six jours et six nuits, Adad déverse des
pluies torrentielles et fait souffler la tempête. Le septième jour, le cube se
pose sur le mont Nizir. Uta-Napishti attend encore sept autres jours avant
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