Les révoltés de Dieu
reste
épuisés par la famine, sont effrayés et conviennent qu’il faut que tout cela
cesse. Les eaux commencent donc à baisser et le bateau accoste. Atrahasis en
sort et disperse les animaux aux quatre vents. Puis il offre un sacrifice aux
dieux qui, excités par l’odeur agréable qui se dégage du bûcher, se précipitent
« comme des mouches » autour de ce festin improvisé. Mais ce n’est
pas fini : il s’établit entre Atrahasis et les dieux, toujours par l’intermédiaire
d’Enki, une sorte de traité de cohabitation : désormais, pour éviter une
surpopulation fort gênante, il y aura des femmes stériles, les prêtresses n’auront
pas le droit de procréer et la mortalité infantile sera accrue. On voit que la
régulation des naissances n’est pas un problème contemporain lié à la prise de
conscience que la Terre ne peut nourrir qu’un nombre limité d’existants, et qu’il
y allait déjà, en ces temps lointains, de la survie de la communauté humaine si
des mesures draconiennes n’étaient pas prises solennellement.
Le Mythe d’Atrahasis , dans
son archaïsme évident, met l’accent sur deux éléments essentiels : l’assèchement
qui a précédé le déluge et le pacte conclu entre les dieux et les humains pour
ré-harmoniser l’univers perturbé par les excès antédiluviens. Dans la Genèse, l’accent
est mis sur la prolifération des existants tandis que, dans le récit babylonien, c’est plutôt la restriction qui est mise
en avant.
Les grandes lignes de ce récit symbolique se retrouvent
aussi dans la tradition grecque avec une histoire qui est peut-être une
réminiscence de ce qui s’est réellement passé vers - 12000, lorsque les
eaux de la Méditerranée ont envahi la dépression qui constitue actuellement la
mer Noire.
Il s’agit du mythe de Deucalion, personnage dont le nom peut
évoquer à la fois l’inondation et la beauté ( deuein ,
« arroser » et kalliôn , comparatif
de kalos, « beau »), mais qui est
plus vraisemblablement dérivé d’un ancien Theou-kalliôn ,
« plus beau que Dieu », ce qui correspond parfaitement à ses origines
et peut expliquer qu’il ait été amené à jouer, un peu plus tard, le rôle d’un
démiurge.
En effet, d’après les auteurs grecs, dont Hésiode, il aurait
été le fils de Prométhée et de Pandore. Or, Prométhée, il ne faut pas l’oublier,
est un « révolté de Dieu », un démiurge qui a apporté le feu aux existants humains. Quant à la femme de Deucalion, Pyrrha,
son nom est probablement dérivé du mot pur (génitif puros ), « feu ». Ces noms ne sont
certes pas sans intérêt, car ils révèlent, malgré les déformations habituelles
que font subir les écrivains grecs classiques aux mythes primitifs, un
symbolisme archaïque dont on ne saisit plus très exactement la portée.
Si l’on s’en tient à la version la plus connue de cette
histoire, Zeus était irrité (comme Yahvé et Enlil) par les crimes commis par
les humains. De plus, Zeus, qui avait détrôné et châtré son père Khronos, craignait
qu’un tel sort ne pût lui arriver un jour. On retrouve cette attitude chez le
Mésopotamien Enlil, inquiet du débordement possible des humains vers le domaine
des dieux, et chez le Yahvé hébraïque surveillant constamment le développement
de l’intelligence humaine et son ambition à rejoindre la condition divine.
Zeus, dans sa colère, décide donc d’anéantir l’humanité en
inondant la Terre. Mais Prométhée, le démiurge, celui qui est vraiment l’incarnation
idéale de tous les « révoltés de Dieu », ne peut se résoudre à voir
disparaître ce qu’il a créé et organisé. Il choisit son fils Deucalion et la
femme de celui-ci, Pyrrha, pour sauvegarder sa création. Sur ses conseils, Deucalion
et Pyrrha construisent un grand coffre et s’y réfugient lorsque les eaux se
déchaînent. Le coffre flotte pendant neuf jours avant de se poser sur le sommet
du mont Parnasse. Une fois les eaux retirées, Deucalion et Pyrrha vont consulter
l’oracle de Thémis (ou de Zeus, selon une autre version) pour savoir comment
repeupler la Terre. La voix de l’oracle leur répond : « Voilez-vous
la face, marchez devant vous et jetez derrière vous les os de votre grand-mère. »
Ils comprennent que les os de leur grand-mère (Gaïa, la déesse Terre primitive)
ne sont autres que les cailloux qu’on trouve sur la surface de la Terre. Ils
obéissent aveuglément, c’est le
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