Les révoltés de Dieu
qu’il
peut courir plus vite que les autres sans même avoir besoin de revêtir les fameuses
« bottes de sept lieues » du conte de Perrault.
Quant à Pantagruel, présenté par Rabelais comme le fils de
Gargantua, c’est un personnage sorti tout droit des mistères [81] du Moyen Âge, où il est un diable asséchant les pauvres humains en leur jetant
du sel. On remarquera que Rabelais, dans son Livre
second , décrit Pantagruel accomplissant ce même geste au cours des
combats auxquels il participe, afin d’assoiffer ses ennemis et de les réduire à
sa merci [82] . Et il ne faudrait pas
oublier que, selon Rabelais, Gargantua et Pantagruel sont non seulement des
géants « matériels » mais des êtres pourvus d’une grande connaissance
encyclopédique. Ils sont des « puits de science ». Pourquoi ne pas
reconnaître en eux l’image de ces Néphilîm contre lesquels, en dernière analyse, Yahvé se résout à déclencher un déluge
universel ?
Précisément, dans le premier chapitre de son Livre second , Rabelais, parodiant les anciens textes
sacrés, particulièrement la Bible, imagine de façon fantaisiste et pittoresque
la généalogie de son héros Pantagruel. Mais, à y réfléchir, les circonstances
dont il entoure l’apparition des géants ne sont pas seulement du domaine de l’imaginaire.
Rabelais semble ici avoir puisé à bonne source en faisant des géants des sortes
de victimes du meurtre primordial commis par Caïn sur son frère Abel :
« Peu après qu’Abel fut occis par son frère Caïn, la Terre, inondée du
sang du juste, fut une certaine année si très fertile en tous fruits qui de ses
flancs nous sont produits, et singulièrement en mesles (nèfles), qu’on l’appela de toute mémoire l’année des grosses mesles, car les
trois en faisaient le boisseau. »
Les arguments fournis pour expliquer cette abondance et ce
gigantisme des nèfles sont logiques et le choix des nèfles n’est pas dû au
hasard, car on sait que le néflier, le gingko biloba, le gui et les fougères
sont des végétaux très anciens qui ont pu résister à toutes les catastrophes, climatiques
et autres [83] . Or la fertilité du sol
arrosé du sang d’Abel est ici mise en parallèle avec un bouleversement sidéral :
en cette année, « le mois de mars manqua en Carême, et fut la mi-août en
mai. Au mois d’octobre, ce me semble, ou bien de septembre […] fut la semaine
tant renommée par les annales qu’on nomme la semaine des trois jeudis : car
il y en eut trois à cause des irrégularités bissextiles, que le soleil pencha
quelque peu comme debitoribus à gauche, et la
lune varia de son cours plus de cinq toises, et fut manifestement vu le
mouvement de trépidation au firmament dit Aplane ; tellement que la
Pléiade moyenne, laissant ses compagnons, déclina vers l’équinoxial, et l’étoile
nommée l’Épi laissa la Vierge, se retirant vers la Balance ; qui sont cas
bien épouvantables et matières tant dures et difficiles que les astrologues n’y
peuvent mordre ».
Il est clair que Rabelais décrit ici des perturbations climatiques
de grande importance dues à un brusque changement de l’axe de la Terre ou du
cours de certains astres, ou à la chute d’une météorite. Tous les climatologues,
géologues et astrophysiciens sont d’accord pour admettre que ces perturbations
ont eu des conséquences incalculables sur la vie de la planète, faisant
disparaître certaines espèces et provoquant des mutations pouvant être
franchement monstrueuses. Mais Rabelais n’insiste pas trop sur ces
bouleversements climatiques. Il préfère expliquer l’origine des géants et
autres monstres par l’absorption en trop grande quantité de ces nèfles extraordinaires,
tant il est vrai que nous sommes tous ce que nous mangeons, et que la
nourriture est cause de bien des changements dans l’aspect physique des existants , ainsi que dans leur comportement. Il le
fait, comme d’habitude, avec un humour quelque peu grinçant et n’hésite pas à s’engager
dans des outrances qui peuvent être considérées comme de mauvais goût.
Comme Noé, soi-disant inventeur de la vigne et victime de
son ignorance des effets de l’éthylisme, les humains de cette époque, qui se
goinfraient de nèfles, connurent bien des désagréments : « car à tous
survint au corps une enflure très horrible ; mais non à tous en un même
lieu ; car aucuns enflaient par le ventre, et le ventre leur
Weitere Kostenlose Bücher