Les révoltés de Dieu
médiévale de Merlin l’Enchanteur, fils
d’une sainte femme et d’un diable, doué de pouvoirs surnaturels, est là pour
nous le rappeler, dans le cadre d’une civilisation à la fois celtique et
judéo-chrétienne, puisque ce personnage historique et légendaire représente la
fusion entre le druidisme et le christianisme.
Certes, on peut tomber dans des interprétations fort différentes.
On a ainsi pu prétendre que les « fils des
Élohîm » n’étaient ni plus ni moins que des « extraterrestres »
venus d’une planète inconnue sur des « soucoupes volantes » et ayant
abusé de la crédulité des « filles des hommes ». Après tout, pourquoi
pas ? L’argument est d’une logique implacable et pourrait expliquer l’apparition
d’une race de surhommes, ces mystérieux Néphilîm ,
ces « héros de la pérennité », ces « hommes du Nom » qui
ont pu déranger l’ordre du monde prévu par le démiurge. De toute évidence, ces Néphilîm sont des géants, et les géants sont
présents dans toutes les traditions qui font état des temps primitifs. Leur
gigantisme est-il réel, matérialisé par leur taille exceptionnelle, ou bien s’agit-il
simplement d’un développement prodigieux de leur intelligence ? Cette seconde
solution justifierait d’ailleurs, si l’on prend à la lettre les récits mythologiques,
l’attitude des dieux grecs et babyloniens qui se sentent en danger non seulement
devant la prolifération des humains et leur activité débordante, mais surtout
devant leurs prétentions de plus en plus nettes à vouloir « être comme des
dieux ». Et c’est cet aspect des choses qui motiverait, si l’on en croit
la Genèse, la réaction de Yahvé-Adonaï : « Iahvé voit que se
multiplie le mal du Glébeux sur la Terre. Toute formation des pensées de son cœur
n’est que mal tout le jour. Iahvé regrette d’avoir fait le Glébeux sur la Terre :
il se peine en son cœur. » ( Gen. VI, 5-6, trad. Chouraqui .)
Il semble donc que les géants, quels qu’ils soient, sont à l’origine
de la colère divine dont le déluge, considéré comme une défense contre un
danger plutôt que comme une punition, est la conséquence inéluctable. On a trop
répété que le déluge était un châtiment infligé aux existants à cause de leurs perversités. Mais quelles perversités ? La Bible
est muette à ce sujet. Il n’y a que les Néphilîm qui soient en cause, ces géants issus d’une conjonction aberrante entre des
entités spirituelles et des humains incarnés.
À ce stade, il est bon de se tourner vers François Rabelais,
l’un des plus grands génies de tous les siècles, qui avait une connaissance
approfondie de toutes les traditions, scientifiques, littéraires, philosophiques
et « folkloriques » car, sous son aspect grotesque, son œuvre recèle
bien des réponses aux questions que se pose le genre humain depuis que la
pensée rationnelle a fait son apparition, peut-être à cause du feu que Prométhée
a dérobé aux dieux pour le transmettre aux hommes.
Parmi les personnages mis en scène par Rabelais, deux sont
des géants, Gargantua et Pantagruel. Il ne les a pas inventés. Ils
appartiennent à la tradition occidentale. Gargantua n’est autre que le géant Gargan , un dieu celtique qui a donné son nom au
Monte Gargano, en Italie, et au mont Gargan, en Corrèze française (ou plutôt
occitane). Il est l’équivalent du Dagda de la
mythologie irlandaise, cette divinité assez insaisissable qui possède une
massue extraordinaire : s’il en frappe d’un côté, il tue, mais s’il en
frappe de l’autre côté, il ressuscite les morts. C’est dire l’ambivalence du
personnage qui se retrouve dans la tradition galloise sous le nom de Gwrgwnt. Étymologiquement,
et en dépit de ce que raconte Rabelais (qui fait venir son nom de l’exclamation
de son père : « que grand tu as ! » sous-entendu « le
gosier »), Gargantua provient de deux mots celtiques qui ont donné Gargam en breton, littéralement « à la cuisse
courbe » c’est-à-dire « boiteux ». On sait que les divinités
sont toujours représentées sous un aspect apparemment contraire à leur fonction,
tel l’Odin-Wotan de la mythologie germano-scandinave qui est borgne parce qu’il a la vision de l’Autre Monde , ou tel le
saint Hervé de l’hagiographie bretonne, qui est aveugle mais qui porte toujours
un livre, le livre de la Connaissance. Gargantua est donc boiteux parce
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