Les révoltés de Dieu
devenait
bossu comme une grosse tonne, desquels est écrit ventrem
omnipotentem , lesquels furent tous gens de bien et bons raillards ;
et de cette race naquirent saint Pansart et Mardi-Gras. Les autres enflaient
par les épaules et tant étaient bossus qu’on les appelait montifères […] De
cette race naquit Ésope. Les autres enflaient par le membre qu’on nomme le laboureur
de nature, en sorte qu’ils l’avaient merveilleusement long, gros, gras, vert et
accrêté à la mode antique, si bien qu’ils s’en servaient de ceinture, le
redoublant à cinq ou six fois par le corps […] Et de ceux-ci est perdue la race,
ainsi que disent les femmes : car elles se lamentent continuellement qu’il
n’en est plus de ces gros, etc. […] Autres croissaient par les jambes et, à les
voir, eussiez dit que c’étaient grues ou flamants ». Et Rabelais en vient
à ce qu’il voulait : « Les autres croissaient en long du corps, et de
ceux-là sont venus les géants, et par eux Pantagruel. »
C’est alors une longue liste de la lignée des géants dont la
plupart sont complètement inventés par Rabelais. Parmi ceux-ci, on découvre un
certain Hurtaly qui échappa au déluge en se tenant à cheval sur l’arche de Noé
(parce qu’il n’aurait pas pu y pénétrer étant donné sa taille), ce qui permet à
Rabelais de justifier la pérennité de cette lignée et sa présence à son époque.
Bien sûr, dans cette liste, on peut relever quelques noms de géants connus dans
les mythologies et certains récits prétendument historiques, tels Atlas, Polyphème,
Hercule, Goliath, tout cela pour en arriver à « Grandgousier, qui engendra
Gargantua, qui engendra le noble Pantagruel, mon maître. »
S’il reprend la tradition des Néphilîm bibliques, Rabelais, en s’attachant aux circonstances de la naissance de
Pantagruel, opère une remarquable – bien qu’ironique autant qu’anachronique – description
de ce qui s’est passé avant le déluge . Cette
année-là, en effet, « fut sécheresse tant grande en tout le pays d’Afrique
que passèrent trente-six mois trois semaines quatre jours treize heures, et
quelque peu davantage, sans pluie, avec chaleur du soleil si véhémente que
toute la terre en était aride. Et ne fut au temps d’Hélie plus échauffée que
fut pour lors, car il n’était arbre sur terre qui eût ni feuille ni fleur :
les herbes étaient sans verdure, les rivières taries, les fontaines taries ;
les pauvres poissons, délaissés de leur propre élément, errants et criants par
la Terre horriblement ; les oiseaux tombant de l’air par faute de rosée ;
les loups, les renards, cerfs, sangliers, daims, lièvres, lapins, belettes, fouines,
blaireaux et autres bêtes l’on trouvait mortes la gueule ouverte. Au regard des
hommes, c’était la grande pitié. Vous les eussiez vus tirant la langue comme
lévriers qui ont couru six heures ; plusieurs se jetaient dans les puits ».
Suivent quelques plaisanteries : dans les églises, les fidèles se tiennent
près des bénitiers dans l’espoir de recevoir quelques gouttes d’eau bénite, et
de toute façon, cette année-là, « bien heureux fut celui qui eut cave
fraîche et bien garnie ». Et c’est d’ailleurs depuis lors que la mer est
salée, car la Terre ainsi surchauffée s’était mise à transpirer.
C’est donc dans ces circonstances exceptionnelles que naît
le fils de Gargantua, coûtant d’ailleurs la vie à sa mère, la bonne Badebec. Et
c’est en fonction de cette sécheresse désastreuse que « son père lui
imposa tel nom : car Panta en grec vaut autant
à dire comme tout , et Gruel , en langue hagarène ( sic ) vaut autant comme altéré ;
voulant inférer qu’à l’heure de sa nativité, le monde était tout altéré, et
voyant en esprit de prophétie qu’il serait quelque jour dominateur des Altérés ».
L’étymologie du nom de Pantagruel est évidemment plus que discutable mais elle
justifie la fonction mythologique du personnage, ce diable gigantesque qui
assèche, et donc altère , ses ennemis en leur jetant
du sel. Dans la suite de l’histoire imaginée par Rabelais, Pantagruel, après
une guerre dont il sortira vainqueur, sera le maître du royaume des Dipsodes , littéralement des « Altérés ». L’imaginaire
de Rabelais coïncide étroitement avec le sens profond du mythe.
Cela renvoie au récit babylonien du Mythe d’Atrahasis , quand Enlil, voulant châtier les existants
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