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Les révoltés de Dieu

Les révoltés de Dieu

Titel: Les révoltés de Dieu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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s’en va !
    Je t’avertis là-haut, Jéhovah ! Jéhovah !
    C’est moi. […] Terre, arbres que les vents courbent sous
leurs haleines,
    Ô déserts, noirs vallons, lac, rochers, grandes plaines,
    Levez vos fronts sans nombre et vos millions d’yeux ;
    Nemrod va conquérir le Ciel mystérieux. »
     
    Ce voyage dans l’espace dure un temps indéterminé mais très
long, rythmé par ce refrain obsessionnel : « Et les aigles montaient. »
Victor Hugo est sans doute le seul à avoir su transcrire les différentes étapes
d’une ascension fantastique vers l’impossible :
     
    « Et l’esquif monstrueux se ruait dans l’espace,
    Les noirs oiseaux volaient, ouvrant leur bec rapace.
    Les invisibles yeux qui sont dans l’ombre épars
    Et dans la vague azur s’ouvrent de toutes parts
    Stupéfaits, regardaient la sinistre figure
    De ces brigands ailés à l’énorme envergure ;
    Et le char vision, tout baigné de vapeur,
    Montait ; les quatre vents n’osaient souffler, de peur
    De voir se hérisser le poitrail des quatre aigles. »
     
    Le ciel est pourtant lointain, et Nemrod s’en aperçoit très
vite :
     
    « L’infini se laissait pousser comme une porte ;
    Et tout le jour se passa de la sorte ;
    Et les aigles montaient. »
     
    L’audace ne suffit pas. Lorsque Nemrod fait ouvrir la trappe
d’en bas par son serviteur, l’Eunuque qu’il a contraint à l’accompagner, il
voit la Terre se rétrécir et devenir peu à peu invisible, un simple point dans
l’espace. Mais quand il fait ouvrir la trappe d’en haut, le ciel lui apparaît
toujours aussi bleu et aussi impénétrable. Le temps existe-t-il ?
     
    « Le vent soufflait en bas dans l’ombre ;
    Et les aigles montaient.
    Et Nemrod attendit
    Un mois, montant toujours… »
     
    De plus en plus orgueilleux et intraitable, prenant
conscience qu’il ne pourra jamais atteindre le ciel, Nemrod prend son arc et
lance une flèche meurtrière vers le haut, espérant frapper ainsi l’Éternel. L’échec
est flagrant.
     
    « Un mois après, la nuit, un pâtre centenaire
    Qui songeait dans la plaine où Caïn prit Abel,
    Champ hideux d’où l’on voit le front noir de Babel,
    Vit tout à coup tomber des cieux, dans l’ombre étrange,
    Quelqu’un de mystérieux qu’il prit pour un archange ;
    C’était Nemrod. Couché sur le dos, mort, puni,
    Le noir chasseur tournait encor vers l’infini
    Sa tête aux yeux profonds que rien n’avait courbée.
    Auprès de lui gisait sa flèche retombée,
    La pointe, qui s’était enfoncée au ciel bleu,
    Était teinte de sang. Avait-il blessé Dieu ? »
     
    L’interrogation de Hugo est intéressante, car l’épisode biblique
de la tour de Babel démontre clairement que Dieu a été blessé – moralement – par
la tentative de Nemrod. Après tout, cette légende de Nemrod s’élevant dans les
airs pour conquérir le ciel correspond étroitement à l’édification de la tour.
« La Terre entière se servait de la même langue et des mêmes mots. Or, en
se déplaçant vers l’orient, les hommes découvrirent une plaine [91] dans le pays de Shinéar [92] et y habitèrent. Ils se
dirent l’un à l’autre : Allons ! moulons des briques et cuisons-les
au four. Les briques leur servirent de pierres [93] et le bitume leur servit
de mortier. Allons, dirent-ils, bâtissons-nous une ville et une tour dont le
sommet touche le ciel. Faisons-nous un nom afin de ne pas être dispersés sur
toute la surface de la Terre. » ( Gen. XI, 1-4, T.   O.   B. )
    Qu’en est-il exactement de cette histoire fabuleuse ? La
tour de Babel a-t-elle réellement surgi du sol par le patient travail des
hommes ? À cette question, la réponse est affirmative. Symbolique dans le
récit biblique, la tour de Babel ne peut être que la grande ziggourat de
Babylone, qui est le même nom que celui de Babel ,
comme la nommaient les Hébreux. La ziggourat de Babylone était un temple, dont
les vestiges sont encore visibles et dont les archéologues ont pu reconstituer
le plan primitif. Détruite en 689 avant notre ère par Sennachérib, lors de la
prise de Babylone, puis reconstruite par ses successeurs, dont le célèbre
Nabuchodonosor II, elle avait une base carrée de 91 mètres. Elle
comportait sept étages en gradins, le tout en brique, et au sommet, s’élevait
le temple comportant plusieurs pièces, un « saint des saints » où
seuls les prêtres de haut rang avaient le droit de pénétrer. La

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