Les révoltés de Dieu
reconstitution
conjecturale de cette ziggourat correspond très exactement à la tour de Babel. Et
ce n’était pas la seule ziggourat de Mésopotamie : construites dans l’enceinte
de vastes enclos sacrés, généralement au cœur d’une ville, elles ont fleuri un
peu partout à partir de 2000 av. J.-C., date de la fin de la période mégalithique
et du début de l’âge du bronze.
On sait, grâce aux précieux documents de la bibliothèque de
Ninive, que le roi Nammu, fondateur de la troisième dynastie, en fit construire
une à Ur, la patrie d’Abraham, mais également d’autres à Endu, à Ourouk, la cité
du héros Gilgamesh, et à Nippur. La ziggourat d’Ur, dédiée à Nanna, la Déesse
Mère, était également, d’après les études archéologiques, un gigantesque
bâtiment qui possédait trois escaliers d’accès se rejoignant à angle droit. La
tour de Babel n’est pas une fiction, mais une réalité appartenant aux
brillantes civilisations qui se sont succédé pendant l’époque néolithique, tout
autour du Tigre et de l’Euphrate, là où sont apparues la culture du blé et la
sédentarisation de populations autrefois nomades à l’intérieur de véritables
villes qui, sans être des mégalopoles à l’échelle des XX e et XXI e siècles,
n’en constituaient pas moins des surfaces urbanisées considérables.
Pourquoi ces rassemblements de populations dans l’enceinte d’une
ville en cette période ? C’est aux sociologues et aux historiens de
proposer des réponses. Quelles qu’elles soient, elles auront fatalement un
rapport étroit avec le mythe, puisque celui-ci transcrit un état de fait devenu
emblématique. Une première constatation s’impose : le pacte entre Noé et
Yahvé stipulait une dispersion des existants sur la surface du globe terrestre. Or, l’urbanisation est au contraire une
concentration d’ existants . Il y a quelque
chose qui n’est point conforme au plan divin. Le récit biblique, quelque peu
ambigu, est cependant riche d’enseignement. Après avoir signalé que les existants humains craignent leur dispersion et se
révoltent contre elle, le texte continue ainsi : « Iahvé-Adonaï
descend pour voir la ville et la tour qu’avaient bâties les fils du Glébeux. Iahvé
dit : Voici, un seul peuple, une seule lèvre pour tous ! Cela, ils
commencent à le faire. Maintenant rien n’empêchera pour eux tout ce qu’ils
préméditeront de faire ! Offrons, descendons et mêlons là leur lèvre afin
que l’homme n’entende plus la lèvre de son compagnon. Iahvé-Adonaï les disperse
de là sur les faces de toute la Terre : ils cessent de bâtir la ville. Sur
quoi, il crie son nom Babel , oui, là, Iahvé-Adonaï
a mêlé la lèvre de toute la Terre, et de là, Iahvé-Adonaï les a dispersés sur
les faces de toute la Terre. » ( Gen. XI, 5-9, trad.
Chouraqui .)
Une première constatation conduit à s’étonner de la réaction
de Yahvé devant la construction de la tour : « Rien ne les empêchera
plus de réaliser leurs desseins », semble-t-il déplorer. On pense alors à
l’arbre de Vie, au centre du jardin d’Éden, et à la crainte de voir Adam et Ève
atteindre cet arbre, manger de son fruit, et devenir « comme des dieux »,
ainsi que leur avait suggéré le serpent tentateur. Les dieux seraient-ils
jaloux de leurs créatures ? Le fait que Yahvé mêle
les lèvres des hommes , c’est-à-dire jette la confusion dans leur langage
afin de les empêcher de continuer leur ouvrage, inciterait à le croire. L’attitude
de Zeus, dans la tradition grecque, est analogue, puisqu’il refuse de donner le
feu aux hommes ; de même Enlil, le Mésopotamien, provoque la sécheresse
pour se débarrasser des existants qui l’empêchent
de dormir. On remarquera cependant qu’il n’est pas question d’une quelconque
transgression de la part des humains dans le cas d’Enlil et de Zeus, ni même
dans la réaction de Yahvé : il ne leur reproche rien et ne les punit pas
en confondant leur langage, mais il semble se
protéger lui-même comme s’il avait peur de perdre ses privilèges ou de
devoir les partager avec ses créatures.
Cette interprétation est logique, mais demeure superficielle.
Les choses ne sont pas si simples. Si l’on admet que la tour de Babel, même
considérée comme symbolique, est une ziggourat babylonienne authentique, il est
bon de s’interroger sur les motivations qui étaient celles des constructeurs de
ces édifices
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