Les révoltés de Dieu
les
Mèdes ( Madaï ), les Grecs d’Ionie ( Yavân ), des peuples proches de la mer Noire ( Toubal et Mèshek ), peut-être
les ancêtres des Étrusques ( Tirâs) , les
Scythes ( Aschkénâz) , les Philistins ( Pelishtîm , lesquels ont donné son nom à la Palestine),
les habitants de la Crète, ceux de Chypre ( Elisha ),
de la péninsule Ibérique ( Tarsis ) et de Rhodes
( Dodanîm ou Rodanîm ),
ce dernier terme pouvant tout aussi bien désigner les populations européennes
du nord de la Méditerranée que les rédacteurs de la Bible hébraïque ne connaissaient
pas.
Quoi qu’il en soit, il s’agit bien ici d’une « répartition »
de la surface du globe entre les trois fils de Noé et leurs descendants. Et si
l’on examine attentivement les trois listes généalogiques qui sont données par
le récit biblique, on est amené à se pencher sur l’un des descendants de Cham, un
certain Nimrod ou Nemrod ,
car il est en relation directe avec la tour de Babel, parfois appelée « la
tour de Nemrod ». On en dit très peu, mais suffisamment : « Koush
fait enfanter Nimrod ; il commença à être un héros sur la Terre. Il était
un héros de chasse devant Iahvé-Adonaï. Sur quoi il est dit : Tel Nimrod, héros
de chasse, face à Iahvé-Adonaï. Et c’est en tête de son royaume : Babel, Érekh
[Ourouk], Akkad [89] et Kalné [ville inconnue]
en terre de Shinéar [Mésopotamie]. De cette terre est sorti Ashour [Assour]. Il
bâtit Ninive, Rebahot-ville et Kalah, Ressen entre Ninive et Kalah [90] ,
c’est la grande ville » ( Gen. X, 8-12, trad. Chouraqui ).
Si l’on comprend bien, ce Nemrod était ce qu’on appellerait
aujourd’hui un « bâtisseur d’empire ». C’est le « grand chasseur
devant l’Éternel ». A-t-il existé réellement ? Rien n’est moins sûr. Il
faut s’en tenir à voir en lui une figure emblématique, celle d’un tyran assurant par tous les moyens sa domination sur
le monde et défiant Dieu lui-même. C’est bien
ainsi que Victor Hugo l’a représenté dans un des épisodes de sa Fin de Satan . Le poète imagine que Nemrod a retrouvé
le clou d’airain dont Caïn avait frappé son frère Abel et que, avec ce clou, il
a façonné son glaive. Il se sert de cette arme redoutable pour s’imposer par la
force à tous les hommes. Il fonde Babylone, il devient maître de la terre. Mais
la terre ne lui suffit pas : il veut aller encore plus loin et conquérir
le ciel. Victor Hugo reprend alors une tradition qui circulait autrefois dans
tout le Moyen-Orient et que Ferdousi, célèbre poète persan du X e siècle, a contribué à faire connaître au
monde.
Hugo nous présente d’abord Nemrod comme un farouche solitaire
que « les vagues démons se montraient du doigt ». Ce violent chasseur
« Prit, sur de grands monts
Que battaient la nuée et l’éclair et la grêle,
Quatre aigles qui passaient dans l’air, et sous leur aile,
Il mit tout ce qu’il put de la foudre et des vents.
Puis il écartela, hurlants, mordants, vivants,
Entre ses poings de fer, quatre lions libyques,
Et suspendit leurs chairs au bout de quatre piques. »
Ainsi est ramassée la force ascensionnelle dont il a besoin,
et le symbole des aigles et des lions n’est pas dû au hasard, les aigles étant
censés être les oiseaux capables de monter très haut, et les lions étant les
« rois des animaux », puissants et agressifs.
Cela accompli, Nemrod « songea trente jours »
avant de se rendre sur le mont Ararat. Là, il recueille les débris de l’arche
de Noé, les assemble et
« De ces madriers construisit une cage,
Chevillée en airain, carrée, à quatre pans,
Et sur les trous du bois mit des peaux de serpents ;
Et cette cage, vaste et sinistre tanière,
Pour toute porte avait deux trappes à charnière,
L’une dans le plafond, l’autre dans le plancher. »
Certes, Hugo s’est souvenu de la « cage de soleil »
que décrit tout aussi superbement Cyrano de Bergerac dans son Voyage dans les états du Soleil , mais l’évocation du
chasseur Nemrod construisant avec orgueil cet engin « diabolique » ne
manque pas de grandeur. Et c’est ainsi qu’il s’élève dans les airs dans l’espoir
insensé d’atteindre non pas seulement le ciel, mais Dieu lui-même. Cette
ascension hallucinante est décrite à la perfection par le poète. C’est la
révolte contre Dieu à l’état pur :
« Ô nuées,
Nemrod, le conquérant de la Terre
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