Les révoltés de Dieu
il n’y a qu’une seule et unique connaissance . Mais, depuis l’événement symbolique – et
fort énigmatique – de la tour de Babel, tel qu’il est décrit dans la Bible, cette
connaissance unique et primordiale a été fragmentée en d’innombrables affirmations,
chacune d’entre elles étant tenue par son locuteur comme la Vérité absolue. C’est
dire que cette fragmentation a été catastrophique pour l’humanité qui, depuis
lors, se déchire dans les pires excès de l’intolérance, du sectarisme et
finalement dans l’orgueil le plus détestable, celui de l’ existant humain qui se prend pour Dieu et veut
éliminer, par la force ou par la manipulation de l’esprit, tout ce qui lui
semble s’opposer à ses convictions.
D’ailleurs, la Vérité (avec un grand V), qu’on ne doit pas
confondre avec la Réalité, par essence insaisissable et incommunicable, n’est
en fait qu’un simple constat opéré par la pensée humaine à propos d’un
événement passé ou présent, et même parfois futur. La Vérité ne peut en aucun
cas être la Réalité. Elle n’est que le reflet de cette Réalité entrevue ou, si
l’on préfère, interprétée par la conscience humaine. Elle est donc soumise à
tous les aléas, pour ne pas dire les faiblesses, de cette conscience, sans
parler du handicap que peut constituer une information déficiente ou
fragmentaire qui risque souvent de faire illusion mais qui n’en est pas moins
restrictive. C’est pourquoi il est nécessaire d’être extrêmement prudent quand
on explore la mémoire collective de l’humanité. Cette mémoire contient tout , c’est certain, mais il est difficile, voire
impossible, d’en restituer le contenu, c’est-à-dire de faire surgir au niveau
du conscient ce qui est enfoui au plus profond de l’esprit humain.
Mais comment connaître ce qui constitue l’inconscient humain ?
D’abord, il faut faire la différence entre l’inconscient individuel et l’inconscient
collectif. Tous deux sont en interaction permanente et ne peuvent exister l’un
sans l’autre, mais le premier, par sa nature unique, risque de fausser l’acquis
du second. Et si l’inconscient collectif recèle en fait la mémoire de l’humanité,
ce que semble démontrer la psychanalyse, il n’est pas du tout certain de
retrouver cette mémoire dans son intégralité. Sandor Ferenczi, l’un des plus
brillants disciples de Freud, s’y est essayé dans son essai intitulé Thalassa , en mettant en évidence le fait que l’existence
d’un individu reproduit l’existence de l’espèce. Mais est-ce suffisant pour en
arriver à des conclusions ? Cette « remontée » dans l’inconscient
n’est peut-être que le produit de notre imaginaire.
Certes, il existe des points de repère : ce sont des
images concrètes transmises soit par des récits répétés de génération en
génération, soit par des représentations de nature plastique, tels des
peintures, des gravures, des signes symboliques, en fait tout ce qu’on appelle
des artefacts . Ces points de repère sont essentiels,
mais ils ne suffisent pas à nous faire pénétrer plus avant, tant est dense et
opaque le « flou artistique » qui recouvre la réalité des événements
ainsi sauvegardés. C’est par une sorte de décryptage patient qu’on peut espérer
dissiper certaines couches de ce brouillard. Mais ce décryptage, comme pour la
célèbre « Pierre de Rosette » qui permit à Champollion de comprendre
les hiéroglyphes égyptiens, doit s’appuyer sur des éléments de comparaison. Autrement
dit, la connaissance des récits mythologiques les plus anciens, des images
concrètes les plus archaïques, ne suffit pas si l’on ne dispose pas d’une certaine
réserve analogique, même si l’analogie, en tant que raisonnement philosophique
(très contesté d’ailleurs, parce que non scientifique), a ses faiblesses et ses
limites. Il est donc nécessaire d’étendre le plus loin possible et dans toutes
les directions un champ d’investigation à l’origine fort restreint, quitte à ne
recueillir de cette exploration qu’une information minimale, ou quitte à se
contenter d’élaborer des hypothèses susceptibles d’être abandonnées lors d’une
expertise ultérieure.
Or, tous les récits, tous les textes, toutes les images qui
nous sont parvenus au sujet des révoltés de Dieu ont un contexte commun : chaque
révolte est immanquablement suivie d’un châtiment, ou au moins
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