Les révoltés de Dieu
dieux et fin du monde) de la tradition germano-scandinave, et cela jusqu’à
l’éclosion d’un nouvel « œuf cosmique » à partir duquel naîtra et se
développera un autre monde.
Mais ce texte de Plutarque met en valeur le rapport qu’on
peut établir entre la divinité, par essence spirituelle, qui ne peut se
manifester que par des phénomènes naturels et donc matériels. On en vient à
considérer les transformations du monde visible, c’est-à-dire de l’univers
matériel, sinon comme les métamorphoses de Dieu, du moins comme l’expression de
sa volonté créatrice. C’est supposer la présence de l’Esprit derrière la Matière. C’est aussi reconnaître la primauté de l’Esprit
sur la Matière, et surtout son pouvoir.
D’ailleurs, dans cette conception qu’on pourrait appeler
spiritualiste, Plutarque va encore plus loin. Dans un autre de ses écrits, son Dialogue sur la disparition des oracles (chap. XVIII),
il présente un de ses interlocuteurs qui vient d’aborder dans une île du bout
du monde où vivent de curieux personnages : « Peu après son arrivée, il
se produisit dans l’atmosphère un grand trouble […]. Les vents se déchaînèrent
et un violent orage éclata. Quand le calme fut revenu, les habitants de l’île
lui dirent que l’un des êtres supérieurs venait de disparaître. […] De même qu’une
lampe allumée ne cause aucun désagrément mais peut, en s’éteignant, incommoder
beaucoup de gens, ainsi les grandes âmes, tant qu’elles brillent, ont un éclat
qui n’est pas nuisible mais au contraire bienfaisant, tandis qu’au moment où
elles s’éteignent et périssent, souvent leur fin suscite les vents et la
tempête. » On ne peut que penser au récit évangélique de la mort du Christ,
lorsque la terre tremble, l’obscurité envahit l’espace et le voile du Temple se
déchire…
Si l’on admet en effet l’existence de puissances invisibles,
et par conséquent insaisissables par nos sens ,
si l’on admet l’existence d’un monde spirituel non incarné, d’un autre monde concomitant (à l’image de ce que les
ouvrages de science-fiction appellent la « quatrième dimension »), on
ne peut qu’aboutir à cette conclusion : le monde invisible n’est perçu que
lorsqu’il se manifeste à travers des formes concrètes accessibles aux sens
limités des humains. Tel est, dans le dogme chrétien de la Trinité, le rôle de
Jésus-Christ, qui est la totalité de Dieu, mais qui, par l’incarnation, devient
accessible et compréhensible au genre humain. Et lorsqu’on projette ce schéma
sur les récits des grands cataclysmes de l’univers, au cours des millénaires de
l’histoire de la Terre, on est en droit d’affirmer que ces cataclysmes et
autres phénomènes présentés comme « naturels » peuvent être la
manifestation d’une volonté supérieure utilisant des moyens matériels pour se
faire comprendre d’une humanité enfermée dans les limites de la matière et
incapable de saisir l’ essence d’un message. La
« saisie » de l’abstraction a ses limites, et ce qu’on nomme
maintenant la mathématique, science pure par excellence, n’est qu’un code d’accès
privilégié à une connaissance complexe qui échappe à l’esprit humain.
Autrement dit, cet esprit humain, prisonnier des contingences
que la Matière lui impose, a besoin d’images concrètes pour pénétrer l’abstrait.
On retrouve ici le thème développé par Platon dans son « allégorie de la Caverne ».
Dans la mythologie grecque, si tant est qu’on la connaisse vraiment – ce que
niait formellement Georges Dumézil –, les dieux prennent forme humaine pour se
manifester aux hommes. Et dans la tradition judéo-chrétienne, en dehors de
Moïse sur le Sinaï qui se trouve en contact direct avec Yahvé (à travers un
buisson ardent !), ce sont des « messagers » qui interviennent
auprès des hommes pour leur délivrer la parole divine, ces mystérieux anges qui sont les intermédiaires entre le visible
et l’invisible, entre le relatif et l’absolu, entre l’ existant et l’ Être .
Et ces messagers sont toujours présentés sous une forme humaine. Est-ce une
façon comme une autre de présenter ce qui n’est pas communicable ? Ou
est-ce réellement ce qu’on appelle parfois une « matérialisation » d’entités
d’essence spirituelle qui, pour communiquer avec les humains, utilisent ce dont
ces derniers disposent ?
Nous sommes
Weitere Kostenlose Bücher