Les révoltés de Dieu
et inconnaissable (et surtout ineffable) et qui sont autant d’intermédiaires
entre Lui et les créatures matérielles qui
sont ses émanations. Encore une fois, il faut insister là-dessus, Dieu, quel
que soit le nom qu’on lui donne, n’existe pas .
Mais, par contre, il est ; ce sont les
êtres vivants qui existent , c’est-à-dire « qui
sont sortis de lui ». D’où le fossé – tragique – qui a, au cours des
siècles, séparé d’une façon presque irrémédiable l’Être et l’Existant. Et
contrairement à ce qu’affirment certaines thèses indiennes, aussi bien dans le
brahmanisme contemporain que dans la religion issue du Véda primitif (thèses reprises par certains
métaphysiciens occidentaux, comme Spinoza ou Schopenhauer), les êtres humains
et tous les existants ne sont pas des parcelles du divin dispersées dans l’espace,
formulation éminemment « panthéiste », mais des « créations »
individuelles dans un cadre relatif et déterminé.
Si l’on veut comprendre la signification du terme pluriel Élohîm , il est nécessaire de se souvenir que la
création dite divine ne peut être que multiple .
L’Homme, en tant qu’être humain, n’est pas seul dans l’univers, en dépit de ce
que semblent prétendre les premiers versets de la Genèse, où Adam, entité
charnelle façonnée d’argile (le Glébeux , selon
la traduction de Chouraqui), est présenté comme ayant puissance et autorité sur
tout ce qui existe en dehors de lui. Or, cet « Homme »,
malgré les apparences et surtout à cause de l’ambiguïté du texte, n’est pas au
centre du monde, comme l’a trop longtemps affirmé l’exégèse judéo-chrétienne :
s’il représente effectivement une sorte de point ultime dans la création de l’univers
tel qu’il a été « imaginé » par Yahvé-Élohîm ,
il n’est qu’une partie de cet univers, et c’est pour avoir soutenu cette
évidence qu’en l’an 1600 de l’Incarnation, le théologien italien Giordano Bruno
a été brûlé comme hérétique – avant d’être réhabilité, à la fin du XX e siècle, par une Église romaine sclérosée, complètement
dépassée par les événements et ne sachant plus « à quels saints se vouer ».
Cette notion d’appartenance à un univers multiforme n’était pourtant pas
nouvelle : elle se reconnaît aisément dans les théories gnostiques qui, au
début de l’ère chrétienne, ont tenté d’opérer une synthèse entre les
spéculations les plus anciennes de l’humanité et la « révélation »
fournie par les Évangiles et les écrits de la tradition chrétienne. L’essentiel
de cette pensée gnostique peut être formulé ainsi : le monde spirituel
émane d’un principe premier, quel que soit le nom qu’on lui donne, et quelle
que soit sa place dans une chronologie mythique, mais par l’intermédiaire d’êtres abstraits, les Éons , mot
grec qui signifie « temps » et qui exprime fort bien la relativité d’un
univers matériel qui ne peut être perçu en dehors du temps et de l’espace, c’est-à-dire
dans le cadre d’une relativité et non d’un absolu . C’est là où rien ne va plus, car le monde
est imparfait, générateur de troubles et de souffrances, voué à la mort, ce qui
oblige à poser le problème de l’existence du Mal, tant d’un point de vue
métaphysique que matériel. Il ne suffit pas d’introduire dans le débat un être
supposé, comme Ahriman chez les Perses, comme Loki dans les Eddas scandinaves, ou comme Satan (le Diable ou
Lucifer) chez les chrétiens, pour justifier la réalité du Mal, ou tout au moins
pour se dispenser de fournir une réponse cohérente. Au Moyen Âge, les Cathares,
dont l’origine gnostique ne fait aucun doute, avaient répondu à cette question
en reprenant la thèse selon laquelle toute matière demeure inintelligible, inexplicable,
et ne peut provenir que d’une erreur ou d’une chute , celle-ci ayant été provoquée par un Éon spirituel dévoyé ou révolté. Dans cette optique,
le monde lumineux, le monde divin, ne pourra, selon les théories cathares, être
rétabli que lorsque la dernière âme aura été sauvée, c’est-à-dire lorsque
aucune substance matérielle, création mauvaise, donc anti-création, n’enfermera
le principe divin qui est en chacun des « existants ». Alors, les « existants »
redeviendront les « êtres » qu’ils étaient à l’origine, avant la chute , quelle que soit l’importance
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