Les révoltés de Dieu
d’un
avertissement, qui se traduisent soit par une malédiction qui frappe le révolté,
soit par une catastrophe universelle qui concerne alors tous ceux qui, d’une
façon ou d’une autre, ont accepté, encouragé ou participé à cette révolte. Tel
est le cas de la transgression commise par Adam et Ève, révolte contre nature
dont les conséquences, apparemment désastreuses, ont été répercutées sur l’ensemble
de la race humaine. Mais il y a bien d’autres exemples comparables, tant dans
les récits mythologiques que dans l’histoire proprement dite. Et cette constatation,
devenue une évidence, oblige tout observateur de bonne foi à se demander comment et pourquoi sont survenus des événements considérés comme catastrophiques et bien sûr totalement injustifiés , sinon aberrants .
Or cette investigation à travers l’histoire de l’humanité, telle
qu’elle apparaît dans la tradition universelle, conduit à formuler deux
réponses de natures différentes. La première est métaphysique, voire religieuse :
si un cataclysme survient (tremblement de terre, ouragan, raz de marée, assèchement,
déluge, inondation, chute de météorite, épidémie, famine, etc.), c’est à la
suite d’une faute commise par les humains et sanctionnée par les « dieux ».
La seconde réponse est rationaliste : face à une catastrophe naturelle, l’esprit
humain qui en ignore les causes, et surtout ne les comprend pas, se laisse
aller à l’interpréter comme une punition envoyée par des êtres invisibles et
tout-puissants. Et cette seconde réponse suscite obligatoirement un commentaire
sarcastique : ce sont les « prêtres » – de n’importe quelle
religion – qui inventent cette explication pour mieux assurer leur pouvoir sur
les peuples et les maintenir en état d’obéissance passive. On retombe ainsi
dans l’éternelle querelle du cléricalisme et de l’anticléricalisme, qui repose
sur le problème de l’existence ou de la non-existence d’une divinité, une ou multiple,
créatrice de l’univers et juge suprême de l’action humaine.
La réponse rationaliste, qui est d’une logique implacable, est
cependant fort réductrice. En effet, on retombe dans l’explication évhémériste
de toutes les religions : les dieux n’existent pas, ce ne sont que des personnages
historiques, des « héros » auteurs d’actions mémorables, et qui, dans
la mémoire populaire, ont été haussés au rang de divinités. Donc, le culte des
dieux est absolument identique à celui des grands hommes de l’humanité, dont la
mémoire est précieusement conservée. Le Grec Évhémère était évidemment un
matérialiste convaincu, mais ce n’était pas le cas d’un autre Grec, Plutarque, que
l’on connaît presque uniquement comme moraliste et historien, mais qui était, on
l’oublie trop, un prêtre attaché à l’oracle de Delphes. Dans son traité sur l’Epsilôn de Delphes (chap. IX), il
concilie les théories matérialiste et spiritualiste d’une façon remarquable :
« La divinité est par nature incorruptible et éternelle, mais elle subit
certaines transformations par l’effet du destin et d’une loi inéluctable [1] .
Tantôt par embrasement, elle change sa nature en feu et assimile toutes les
substances entre elles. Tantôt elle se diversifie en toutes sortes de formes, de
valeurs et d’états différents, comme c’est le cas actuellement [2] ,
et elle constitue alors ce que nous appelons le monde […] Quand les
transformations du dieu aboutissent à l’ordonnancement du monde, […] les sages [3] désignent à mots couverts le changement qu’il subit comme étant un arrachement et un démembrement […] et ils racontent certaines morts et disparitions divines, puis des
renaissances et des régénérations – récits mythologiques qui sont autant d’allusions
obscures aux changements dont je parlais. » Ce texte admirable est à
méditer longuement.
Certes, suivant la doctrine officielle de l’Église catholique
romaine, Plutarque développe ici les éléments d’une méthode « comparatiste »,
ce que l’Église rejette absolument. Certes, cette méditation sur les « métamorphoses
de Dieu » n’est pas sans rappeler les conceptions indiennes sur le cercle
rythmique des créations, allant de l’ Akâça , la
substance infinie d’où est tiré le Prâna (« énergie »), à la mahâ-pralaya , la
grande dissolution, comparable au Ragnarök (crépuscule
des
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