Les révoltés de Dieu
fille », sans autre
précision, c’est-à-dire « femme non mariée », mais sans aucune
connotation de chasteté. Le sens de « jeune fille physiquement pure »
ne peut être rendu en latin que par l’expression virgo
intacta . Que se passe-t-il dans d’autres langues ?
Le virgo latin a donné le
breton gwerc’h , « jeune fille », et gwerc’hez , « vierge » au sens chrétien du
terme, ainsi que le gallois meirch , « jeune
fille ». La racine celtique, équivalente en indo-européen à celle qui a
donné le latin virgo , est werg , évolué en wraki ,
dont nous retrouvons les dérivés dans le breton gwreg ,
« épouse », et le gallois gwraig ,
« femme ». Un autre dérivé de wraki a été le vieux celtique wrakka , d’où découle
le breton actuel grac’h (ou groac’h ), « vieille femme » dans le sens
péjoratif de « sorcière ». Nous le retrouvons dans le mot gaulois virago qui a été adopté par les Latins avant d’être
emprunté tel quel par le français dans le sens de « femme volontaire et acariâtre ».
Mais, à l’origine, la racine indo-européenne exprime l’idée d’ enfermement . Dans ces conditions, la vierge serait donc
une « femme enfermée sur elle-même », ce qui ramène au thème
germano-scandinave de Brunhild, la walkyrie – vierge – que Siegfried-Sigurd
vient délivrer de son cercle de flammes, ou encore au célèbre motif de la
princesse prisonnière dans une tour et que vient sauver un valeureux héros, dans
les contes populaires.
Mais la racine werg n’est
pas isolée. En grec, elle a donné ergon ,
« action » ainsi que ses dérivés energeia ,
« énergie », organon , « instrument,
organe », et orgion , « cérémonie religieuse
et magique, orgie au sens sacré du terme ». Le concept de base qui prévaut
dans tous ces mots est incontestablement celui de force agissante.
En effet, en latin, la force se dit vis (génitif viris )
dont le radical est vir- , le même que pour virgo , mais également pour le mot vir qui signifie « homme, mâle, époux ». ( fir en gaélique, gour en breton). Il est difficile de ne pas rattacher ces mots à la même racine. Par
conséquent, la vierge, d’après l’étymologie, serait en relation étroite avec
les idées de force , d’ action et de claustration .
La vierge est la puissante , la créatrice ou tout au moins la détentrice du pouvoir
de création. Et elle n’est pas sous la domination d’un homme, elle est
également libre et donc disponible. Elle
correspond très exactement à ce qu’entendent les auteurs du Moyen Âge, surtout
ceux des romans de la Table ronde, lorsqu’ils emploient le mot pucelle pour désigner une femme qui ne se prive pas
de rapports sexuels mais qui n’est pas sous la domination d’un homme. Et cette pucelle peut très bien être mère , il n’y a pas d’incompatibilité. Ainsi, lorsque,
sur la croix, Jésus dira à l’apôtre Jean à propos de Marie : voici ta mère , il en fera symboliquement, par
extension, la mère de tous les humains, ce qui paraît normal puisqu’elle a déjà
été le réceptacle du divin. Alors, étant donné l’imprécision des tentatives qui
ont été faites pour définir la notion de « vierge » [125] ,
peu importe qu’elle soit « toujours vierge » au sens physique du
terme. L’essentiel est de reconnaître qu’elle est la Mère
universelle [126] . Et cela est
strictement conforme à la doctrine chrétienne.
Les synoptiques ne disent rien à propos des « fiançailles »
de Joseph et de Marie, mais les apocryphes sont plus bavards. Selon ces textes,
qui paraissent parfois tenir du conte fantastique ou du traité d’édification, mais
qui sont bien souvent le reflet d’une tradition orale, les prêtres convoquent
les vieillards veufs d’alentour en leur demandant d’apporter chacun une
baguette. Il s’agit tout simplement d’une ordalie, car c’est celui dont la
baguette aura reçu un signe de Dieu qui emmènera la jeune fille avec lui. Joseph,
qui est charpentier, « ayant jeté sa hache, sortit lui aussi se joindre à
eux. Ensemble, ils se rendirent chez le prêtre avec leurs baguettes. » ( Protévangile de Jacques .) Le prêtre prie et examine
les baguettes, mais aucun signe ne se manifeste. Cependant, c’est de la
baguette de Joseph que sort une colombe qui se perche sur la tête du vieillard,
selon le Protévangile , et qui vole à travers
le Temple avant de disparaître dans les
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