Les révoltés de Dieu
digne de son « aventure humaine ». Il n’y
réussit pas. Mais les dieux, pris de pitié, le rédiment et l’admettent dans un
éternel présent.
Il y a dans la tragique légende d’Œdipe quelque chose de
chrétien, du moins si l’on veut bien oublier un instant que les dieux grecs s’acharnent
sur certains mortels. Mais peut-être est-ce pour que ces malheureux mortels
manifestent leur sainteté ? Dans le célèbre Livre
des Morts des anciens Égyptiens, lorsque l’âme du défunt quitte son corps,
il doit affirmer qu’il n’a pas commis de méfaits durant son existence, et c’est
à cette condition qu’il est admis dans l’ Aventi ,
ce séjour bienheureux situé à l’ouest du monde et où règne le dieu Osiris, le
démembré ressuscité comme le sera le Christ.
Il y a incontestablement des accents chrétiens dans le récit
de Sophocle concernant la mort d’Œdipe. Une comparaison s’impose alors avec un
texte chrétien considéré comme apocryphe, rédigé vraisemblablement au III e siècle, et dont l’original grec a été transcrit
en de nombreuses langues et répandu largement dans les primitives communautés
chrétiennes d’Orient et d’Occident : l’Apocalypse de Paul. Censé être
écrit par l’apôtre Paul de Tarse, le récit le présente « ravi » dans
l’autre monde par un ange qui lui dit de regarder vers la terre : « Je
vis un homme sur le point de mourir […]. Je regardai de nouveau et vis toutes
les œuvres qu’il avait accomplies au nom de Dieu, tout ce qui l’avait occupé, qu’il
s’en souvînt ou non ; tout cela se dressait devant lui, à l’heure de la
détresse. […] Avant qu’il ne quittât ce monde, il fut entouré des anges saints
et des anges mauvais : je les vis tous, mais les anges mauvais ne
trouvèrent point demeure en lui ; les anges saints, au contraire, s’emparèrent
de son âme et la guidèrent [115] . » Ces anges de la
tradition judéo-chrétienne ne sont-ils pas les équivalents des Euménides
grecques ?
Il est étrange de constater l’existence d’une communauté spirituelle
qui englobe la mentalité grecque indo-européenne et celle, d’origine sémitique,
qui s’est développée, surtout à Alexandrie, au début de l’ère chrétienne et qui
a subi, c’est certain, des influences gnostiques. Le texte de l’Apocalypse de
Paul ramène formellement à la fin « apaisée » du malheureux Œdipe, ce
« maudit des dieux » dont les monstruosités ont été jugées
involontaires par les puissances de l’au-delà. « Recueillant l’âme au
sortir du corps, [les anges] l’embrassèrent aussitôt comme on embrasse un être
familier, disant : Courage, âme ! car tu as fait la volonté de Dieu
tant que tu étais sur la terre. Vers elle vint l’ange qui la surveillait jour
après jour [116] ; il lui dit :
Courage, âme ! je me réjouis en toi, car tu as fait sur la terre la
volonté de Dieu, et moi, je rapportais à Dieu toutes tes bonnes actions, telles
quelles. De même l’Esprit s’en vint à sa rencontre et lui dit : Âme !
ne crains pas, ne te trouble pas en attendant d’arriver au lieu que jamais tu
ne connus ; je serai ton aide : en toi j’ai trouvé réconfort, au
temps où j’habitais en toi, lorsque j’étais sur terre. L’Esprit la rassura, l’ange
la prit et la mena au ciel [117] . »
Oui, Œdipe a fait la volonté de
Dieu , même s’il s’est révolté contre l’oracle. Car si le sort des existants humains est parfois triste et tragique, les
desseins de Dieu sont toujours impénétrables.
12
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Jésus-Christ
Dans la longue liste des révoltés de Dieu, Jésus-Christ
occupe un rang qui apparaît à l’analyse comme primordial. Au risque de heurter
les sensibilités des croyants comme celles des incroyants, on peut même
affirmer que Iesboua ben Iosseph , puisque tel
est son nom en hébreu, est le type le plus absolu du révolté de Dieu. Et il est
sans aucun doute le personnage qui a marqué le plus profondément et le plus
durablement l’histoire de l’humanité.
Pour mener à bien cette enquête sur Jésus, il convient d’accepter
deux postulats fondamentaux. Le premier est d’ordre historique : Ieshoua
ben Iosseph a réellement existé ; il est né en l’an - 6 et a été crucifié
par les Romains dans les années 30 de l’ère chrétienne. On peut l’affirmer malgré
le manque d’information sur cette période, qui paraît avoir été « expurgée »
de toutes
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