Les révoltés de Dieu
citer le cas
de Remus et Romulus, fils d’une vestale romaine qui devait demeurer virgo intacta ; celui de Moïse, vraisemblablement
fils de la fille de Pharaon, découvert par cette dernière flottant sur les eaux
du Nil, image évidente du fœtus au milieu des eaux maternelles ; celui du
barde gallois Taliesin, détenteur de la connaissance suprême, né deux fois et
recueilli dans un sac de peau flottant sur la mer [130] ;
celui du héros irlandais Cûchulainn, lui aussi né deux fois, produit d’une
union incestueuse entre le frère et la sœur [131] … Un héros ou un dieu ne
peut jamais voir le jour sans la transgression d’un interdit fondamental.
Sa naissance ne peut pas non plus avoir lieu dans n’importe
quelles circonstances. Les apocryphes comme les canoniques, tout au moins
Matthieu et Luc, insistent sur le fait que Jésus est né dans un endroit inhabituel,
une étable ou une grotte. Le thème de la grotte est bien connu, et c’est par
rapport au mythe du dieu solaire phrygien Mithra, né
de la roche vierge d’une grotte , que les Pères de l’Église, après de
nombreuses controverses, ont fixé la date de Noël dans la nuit du 24 au 25 décembre,
qui était précisément la commémoration de la naissance de Mithra [132] .
D’où cette série d’images stéréotypées sur la pauvreté, le dénuement et l’humilité
de celui qu’on considère comme le fils de Dieu, manifestation discrète et
presque anonyme du créateur lui-même.
Quels que soient les enjolivements et les symboles qui parsèment
les textes apocryphes et canoniques, voici donc Dieu incarné en Ieshoua ben Iosseph . Selon l’évangile de Luc ( II, 8-18 ), mais également la plupart des apocryphes,
les premiers à venir rendre hommage à Jésus sont des bergers, avertis par un
ange : ils arrivent dans l’étable (ou la grotte) et se prosternent devant
l’enfant. L’évangile de Matthieu (aussi bien que ceux de Marc et Jean) est
absolument muet sur cette « adoration des bergers » tant célébrée
dans la tradition chrétienne. En revanche, on trouve l’épisode des Rois mages
dans l’évangile de Matthieu ( II, 1-12 ), et il
est abondamment détaillé dans les apocryphes [133] . Il en est de même pour
la « fuite en Égypte », à cause de la menace que fait peser le roi
Hérode en voulant éliminer les jeunes enfants de son royaume [134] :
seuls en parlent Matthieu et les apocryphes, ces derniers insistant sur des
détails qui relèvent du merveilleux. Ainsi, pour abréger le voyage, le jeune
enfant Jésus accomplit des miracles : la marche de Joseph, de Marie et de
l’âne qui porte Jésus ne dure qu’une journée au lieu de trente. Les fugitifs se
retrouvent dans la ville égyptienne de Sohennen [135] .
« Et comme ils n’y connaissaient personne chez qui loger, ils entrèrent
dans un temple de cette ville d’Égypte appelé le Capitole. Dans ce temple
étaient placées trois cent soixante-cinq idoles, auxquelles chaque jour les honneurs
divins étaient rendus par un culte sacrilège. Mais aussitôt que Marie entra
dans le temple avec son petit enfant, il advint que toutes les statues se
renversèrent, et toutes ces idoles, gisant à terre, révélèrent qu’elles n’étaient
rien. » ( Pseudo Matthieu, II, 22-23 .) Et
ce miracle provoque la conversion immédiate du roi du pays.
Il ne faut évidemment pas croire à la lettre ces récits où
le merveilleux le dispute à la volonté d’édification des néophytes dans un
contexte incontestablement primaire. Tout cela a un sens qu’il faut tenter de
décrypter malgré les obscurités, les confusions et les lacunes des textes qui
nous sont parvenus. Il faut bien admettre que ces épisodes ont été inventés
bien après l’époque du Christ, au cours du II e siècle
de notre ère, pour tenter de justifier la doctrine naissante du christianisme
et les divers apports qui ont constitué l’ensemble des pratiques rituelles chrétiennes.
En effet, si on analyse les textes et si on compare ces
épisodes de l’enfance du Christ avec ce qu’est devenue ensuite la religion
chrétienne, on est amené à faire trois constatations essentielles. En premier
lieu, la touchante « adoration des bergers » n’est ni plus ni moins
que le greffon sur lequel va se développer l’enseignement de Jésus – ou ce que
ses disciples en ont fait : c’est l’héritage sémitique de la religion
juive traditionnelle, religion pastorale à l’origine, comme
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