Les Roses De La Vie
l’abbé jouait le rôle que l’on sait.
— Monsieur le Comte, dit Fogacer, outre le plaisir que
j’ai à vous rencontrer, et à contempler votre tant belle face, je ne vous cache
pas que je trouve la chère qu’on fait chez vous, « extrêmement
bonne », comme dit Louis. Ce chapon de Bresse vous fond dans la bouche,
votre vin de Bourgogne est sans égal, et il n’est jusqu’à votre pain dont on
découvre à la première savoureuse bouchée qu’il vient de Gonesse et non, Dieu
merci, de Paris. On n’en mange pas de meilleur chez le nonce. Toutefois…
Et me regardant en arquant son sourcil diabolique sur son
œil noisette, Fogacer se tut.
— Toutefois ? dis-je en écho.
— Vous ne m’avez pas invité, je gage, que pour flatter
mon palais, et si vous me permettez de deviner ce qu’il en est, je dirais que
vous êtes fort tabusté en vos mérangeoises par la libération du prince de
Condé…
— C’est vrai, Monsieur l’Abbé, dis-je. Je ne la peux
véritablement entendre, si fort que je m’y efforce.
— Quoi de plus logique et naturel pourtant que cette
libération, dit-il en m’envisageant avec une fausse innocence de son œil
noisette. Condé menace de mort Concini qui s’enfuit, la Galigaï fait le siège
de la reine qui serre Condé en geôle. Tant est que Louis ne fait meshui que
réparer l’injustice dont Condé fut alors accablé.
— Vous moquez-vous, Fogacer ? dis-je en haussant
les sourcils. Si l’emprisonnement de Condé fut une injustice, pourquoi Louis le
Juste ne s’empressa-t-il pas de la réparer il y a deux ans, quand il prit le
pouvoir après avoir exécuté Concini et exilé la reine-mère ?
— Je ne saurais répondre à cela, dit Fogacer, avec un
geste évasif de la main.
— Alors je vais y répondre pour vous. Ramentez-vous que
le plan de Condé ne se bornait pas à assassiner Concini, mais à reléguer la
reine-mère dans un couvent et à ôter le roi du trône pour y prendre sa place.
— Mais ce n’était là que vantardise, billes vezées,
propos inconséquents et grenouille qui se veut faire bœuf !
— Monsieur l’Abbé, dis-je, des paroles en l’air de
cette farine-là dans la bouche du premier prince du sang sont déjà un crime de
lèse-majesté…
— Il se peut, dit Fogacer, que le roi, après deux ans
de Bastille, ait pensé qu’il convenait d’être indulgent à l’égard d’un complot
que je qualifierais de verbal, puisqu’il ne reçut pas le moindre commencement
d’exécution.
— Monsieur l’Abbé, dis-je, vous m’étonnez.
Réfléchissez, de grâce, que Louis préfère la justice à la mansuétude, comme il
l’a dit souvent. Et qu’en outre, le moment de cette libération fut parfaitement
inopportun, puisqu’il constituait un désaveu de la reine-mère dans le temps
même où on essayait de l’attirer à la Cour. Et fallait-il encore aggraver les
choses en faisant enregistrer par le Parlement une déclaration royale qui
dénonçait, urbi et orbi, « les artifices et les mauvais
desseins » de ceux qui avaient fait arrêter le prince ?
— Il se peut, dit Fogacer, que le roi ait voulu, en
libérant Condé, éviter que les partisans de Condé se missent du côté de la
reine-mère, alors qu’en le libérant, le roi s’en faisait contre elle un allié.
— Il se peut aussi, dis-je, que Luynes, en conseillant
cette libération, ait voulu faire à Marie une écorne telle et si grande qu’elle
décidât de ne point revenir à la Cour, mais de demeurer en Angers et Richelieu
aussi…
— Cela se peut, dit Fogacer, et il se tut, laissant
s’établir entre nous un silence si lourd qu’un huis qui se referme.
Mais dans le chaud du moment, je noulus accepter cette
défaite, et je demandai tout à trac :
— Qu’en pense-t-on dans votre entourage, Monsieur
l’Abbé ?
— Mon entourage, dit Fogacer, lequel est tout finesse
et courtoisie, ne juge pas les décisions d’un souverain dont il est l’hôte…
Puis me considérant œil à œil avec un sinueux sourire, il
ajouta sotto voce :
— Surtout quand il les déplore.
*
* *
J’ai eu, et j’aurai tant d’occasions de montrer que dans les
décisions de grande conséquence pour le royaume, l’opinion de Luynes eut peu
d’influence sur le roi – le roi se décidant même dans les périls, au
rebours de ce qu’opinait son favori – que je dois concéder ici que ladite
influence, s’agissant de la libération de Condé,
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