Les Roses De La Vie
s’avéra décisive.
J’en fus non seulement chagrin, mais prodigieusement étonné.
Car je savais d’une part quel bon et solide jugement Louis portait
ordinairement sur les hommes et sur les événements et je ne pouvais ignorer non
plus en quelle piètre estime, sous la régence, il avait tenu Monsieur le
Prince, étant si irrité par ses insolences et ses arrogances qu’en une
occasion, il avait dit à sa mère que s’il avait eu une épée au côté, il la lui
aurait passée au travers du corps. Louis était donc mieux placé que quiconque
pour pressentir combien ce petit homme agité allait l’encombrer de ses foucades
et de ses caprices, trouvant le moyen d’être à la fois instable et buté,
craintif et téméraire, faible et violent.
J’ai appris par la suite de Déagéant que Luynes, pour
persuader Sa Majesté de desserrer Condé de sa geôle, lui fit valoir que si on
mettait Condé en selle, les Grands dont par le sang il était le premier en
seraient fort contents et, par conséquent, moins enclins à se rebeller derechef
et à rejoindre le camp de la reine-mère.
C’était là une étrange illusion. Il n’y avait parmi les
Grands ni solidarité, ni cohésion d’aucune sorte. Chacun, à chaque moment,
décidait selon son intérêt du moment, attentif seulement aux rapports de force,
tantôt ennemi du roi et tantôt son ami, à’steure trahissant le roi, à’steure
trahissant ses pairs et passant d’un camp à l’autre sans la moindre vergogne.
Les Grands étaient fort envieux et jaloux de Luynes, parce
que ce gentilhomme de fort petite noblesse et sa parentèle affamée raflaient
tout dans l’État. Peu avant d’aller aider la reine-mère à s’évader de Blois,
d’Épernon, encontrant Luynes dans le grand degré du Louvre, lui avait adressé
ces aigres paroles : « Vous, Messieurs, vous montez et nous, nous
descendons. » Les ducs et pairs meshui pouvaient en dire autant de Condé
qui était monté aussi haut au-dessus d’eux et comme il ne pouvait prétendre que
le prince fût petitement né, il feignait de s’apitoyer sur les incertitudes de
sa naissance…
En temps de paix, les Grands se livraient d’ordinaire entre
eux à une perpétuelle guerre de préséances qui eût été risible, si elle n’avait
pas laissé derrière elle des blessures brillantes et d’inguérissables rancunes.
Le lecteur, se peut, se ramentoit que le comte de Soissons, deuxième prince du
sang, entra dans ses plus noires fureurs quand la fille du duc de Mercœur
qu’Henri IV allait marier à son fils, le duc de Vendôme, prétendit porter
des fleurs de lys sur sa vêture de mariée. Privilège réservé aux princesses
royales qu’à ses yeux elle n’était pas, le duc de Vendôme étant fils de roi,
certes, mais fils bâtard, bien que légitimé.
Le malheureux comte, fort pressé en outre par sa comtesse,
courut au Louvre et exigea de prime qu’Henri retirât ses fleurs de lys à
Mademoiselle de Mercœur. Le roi noulut tout à plein, et devant ce refus, pressé
plus que jamais par la comtesse, le comte exigea, pour la robe de son épouse,
une rangée supplémentaire de fleurs de lys. Notre Henri ne fit que rire de
cette prétention et le comte, outragé, se retira dans son château provincial,
où, non content de bouder, il s’avisa d’une autre injustice dont il était la
victime : si le protocole voulait que le prince de Condé fût appelé Monsieur
le Prince tout court pour témoigner qu’il était le premier des princes,
lui, comte de Soissons, deuxième prince du sang, devait, pour la même raison,
devenir dans la bouche des courtisans Monsieur le Comte. Bien que cette
innovation violât les règles du protocole, Henri ne voulant pas blesser une
deuxième fois le comte, lequel l’avait jadis soutenu contre la Ligue, cligna
doucement les yeux sur cet abus. Il va sans dire que, lorsque le boudeur mourut
en son château, la comtesse de Soissons transmit à son fils aîné, sans en rien
omettre, les sourcilleuses revendications de son père. Et bien que le béjaune,
en 1619, n’eût encore que quinze ans, il montra, jusque dans la dispute, que
bon sang ne saurait mentir.
L’occasion en fut la serviette avec laquelle Louis
s’essuyait les lèvres à chaque repas. Elle était apportée par Berlinghen qui,
toutefois, ne la remettait pas au roi, mais au gentilhomme le plus élevé dans
l’ordre de la noblesse qui se trouvait là, lequel, la recevant des mains du
valet de chambre,
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