Les Roses De La Vie
« Prenez
garde ! Si vous ne vous amendez pas, nous allons vous tomber
sus ! » Le disconvenable n’était point donc, à mon sentiment, qu’on
relevât ce titre et cette charge, mais le choix de la personne à qui on les
confiait et qui était si piteusement inférieure à ce glorieux emploi.
Ce qui me fâchait aussi, et plus vivement que je ne saurais
dire ici, c’est que pour la première fois depuis que je servais Louis avec quel
zèle, le lecteur bien le sait, il m’apparaissait que la qualité que j’avais
jusque-là le plus prisée chez lui, à savoir la clairvoyance du jugement, se
trouvait cruellement démentie par le choix qu’il avait fait, sans même qu’il
pût arguer pour sa défense qu’on l’eût, en l’espèce, mal conseillé, car ni le
Conseil des affaires, ni les ministres n’avaient eu à débattre de cette
nomination.
Cette bévue ou cette bourde, de quelque nom qu’on voudra
l’appeler, jeta alors en mon esprit comme une ombre déquiétante, non point sur
ma fidélité, acquise à Louis jusqu’à la mort, mais sur la créance que j’avais
nourrie jusque-là qu’il ne saurait errer, à tout le moins, durablement, dans le
ménagement du royaume, tant son bon sens était sans faille.
Cependant, une année après la mort de Luynes, un entretien
que j’eus avec Déagéant, devant un flacon de bourgogne, dans l’appartement du
Louvre, me convainquit que j’avais porté là sur Louis un jugement téméraire.
— Nenni, Monsieur le Comte, me dit avec feu
l’ex-conjuré du quatorze avril, ce n’est pas du tout sur Luynes que le choix de
Louis se porta de prime, mais sur un homme nourri aux armes dès l’enfance qui
avait rendu à Henri IV les plus signalés services, tant en écrasant les
ligueux dans le Dauphiné qu’en remportant victoire sur victoire sur le duc de Savoie
alors allié à Philippe II d’Espagne.
— Lesdiguières ? m’écriai-je ? Le fameux
Lesdiguières !
— Oui-da, Monsieur le comte ! Lesdiguières !
Aussi habile diplomate que général valeureux. Un homme qui, tout huguenot qu’il
fût, avait montré une adamantine fidélité au trône de France sous
Henri IV, sous la régence, sous Louis XIII, et au surplus bien trop
âgé et trop sage – il avait alors soixante-dix-sept ans – pour se
laisser griser par les pouvoirs immenses d’une charge de connétable.
— Baron, dis-je (sachant que Déagéant aimait qu’on lui
donnât du baron, son titre étant si récent), le fait est-il constant ?
Fut-ce bien à Lesdiguières que Louis songea ?
— Je ne puis en douter, puisque, d’ordre de Louis,
Luynes m’envoya dans le Dauphiné auprès de Lesdiguières pour le persuader
d’accepter cette charge.
— Fallait-il, dis-je en souriant, se donner tant de
peine pour l’en persuader ? N’était-elle pas assez haute ? Tenait-il
pour rien l’honneur qu’elle confère ?
— Nul honneur, Monsieur le Comte, qui n’exige corde ou
chaîne ! Et cette chaîne-là était de taille. Il fallait que Lesdiguières
se convertît de prime à la religion catholique, le roi très chrétien ne pouvait
admettre auprès de soi un connétable de la religion réformée.
— Mais Lesdiguières était-il si loin de cette
conversion ? J’ai ouï dire qu’à Grenoble, en l’église Saint-André, se
cachant parfois en un recoin pour ne point être vu, il oyait, non sans
émeuvement, les célèbres prêches de François de Sales.
— Il est vrai. Et il est vrai aussi que sa femme et ses
filles, déjà gagnées à l’Église catholique, le pressaient fort de suivre la
même voie. Et cette force-là, ajouta Déagéant avec un sourire, n’était point à
dépriser : Clovis se serait-il converti sans l’influence de
Clotilde ? Voyez ce qu’une faible petite femme peut faire ! Se peut
que sans Clotilde, le royaume de France ne serait pas, ce jour d’hui, chrétien.
— Baron, dis-je, vous m’ébaudissez ! Reprenez une
lampée de ce vin de Bourgogne. Mais poursuivez, de grâce, votre récit. Vous
voilà donc à Grenoble avec Lesdiguières.
— Non point à Grenoble mais à Embrun, où je suis député
par Luynes et le roi auprès de Lesdiguières pour le presser de se faire
catholique et d’accepter la charge de connétable. Ma mission est officielle,
commandée par le roi. Mais je ne laisse pas d’apprendre que, derrière le dos du
roi, et par voie de conséquence, derrière la mienne, Luynes a dépêché un autre missus
dominicus
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