Les Roses De La Vie
se louer de la politique de Philippe III dans
la Valteline et non plus de la part qu’il avait prise dans l’occupation du
Palatinat. Mais Louis n’ignorait pas combien la petite reine pâtirait en son
cœur de la mort de son père et ce deuil, venant si vite après la perte de son
fruit, l’allait sans doute replonger dans la désespérance dont à peine elle
était sortie. D’autre part, le prince des Asturies succédant à son père, la
sœur la plus aimée de Louis, Élisabeth, devenait reine d’Espagne et l’enfant
qu’elle donnerait à son royal époux, et qui régnerait à son tour, serait à demi
Bourbon.
— Monsieur l’Ambassadeur, dit Louis, je suis
excessivement ému et chagrin d’ouïr cette triste nouvelle. Je vous prie de dire
à mon beau-frère, le prince des Asturies, combien je la déplore et quels vœux
je forme pour que son règne soit heureux.
La condolence était un peu brève, mais tout y était, quoique
sommairement dit. Et le monde entier savait que Louis était un homme de peu de
mots. Le marquis de Mirabel salua de nouveau jusqu’à terre et Louis lui rendit
son salut.
— Sire, reprit l’ambassadeur, s’exprimant cette fois en
français, plaise à Votre Majesté de me permettre d’annoncer moi-même à la
reine, votre épouse, cette triste nouvelle.
— Je vous accompagnerai, dit Louis.
Après un nouvel échange de bonnetades, Louis dit quelques
mots à l’oreille de Soupite qui, aussitôt, sortit de la pièce. Louis se leva
alors, descendit les degrés et suivi de Mirabel, de Puisieux, de moi-même et du
cordelier, se dirigea vers les appartements de la reine, marchant avec une
lenteur inaccoutumée, se peut pour permettre à Soupite de prévenir Anne et de
lui donner un peu de temps pour se préparer.
Si bien je me ramentois, le défunt roi, Philippe III
d’Espagne, avait quarante et un ans quand il mourut, et si j’en crois ce que
m’en dit plus tard Richelieu, il se plaignit, non sans amertume, d’être si tôt
rappelé du monde par le Seigneur. Il avait un grand front qui, bien à tort,
présageait de l’esprit et une longue et lourde mâchoire qui annonçait, cette
fois non sans raison, des instincts impérieux. Et en effet, il était fort débauché,
quoiqu’en même temps fort pieux. Partagé entre les fêtes païennes et les
cérémonies religieuses, il fuyait à se donner peine dans l’exercice du pouvoir
et en laissait les rênes à son favori, le duc de Lerma, ce qu’à sa mort il se
reprocha.
Un seigneur espagnol dont je tairai le nom m’a dit que la
Cour de Madrid ne lui connaissait qu’une seule vertu : il était très
affectionné à ses enfants, en particulier à notre petite reine qui lui rendait
son amour au centuple. Ma belle lectrice se ramentoit sans doute qu’au moment
de l’échange des princesses, à la frontière espagnole – Madame devant
marier le prince des Asturies et Anne d’Autriche le roi de France –,
Philippe III, passant outre aux avis de son Conseil qui lui recommandait
la prudence, accompagna sa fille chérie jusqu’à la petite île sur la Bidassoa
où se devait faire l’échange, alors que Marie de Médicis se contenta
d’accompagner la sienne jusqu’à Bordeaux, ne lui laissant, après Bordeaux, que
la compagnie des soldats de son escorte.
Le règne de Philippe III s’était ouvert sous de fâcheux
auspices. Un an avant son avènement, l’Espagne avait fait banqueroute et aux
ayants droit avait cessé tout paiement. Comme si cela ne suffisait pas au
malheur de son royaume, l’année même où Philippe monta sur le trône (1598), une
effroyable peste dévasta la Castille. Il eût fallu redresser l’État, mais en
ses paresseuses mérangeoises, Philippe III prêtait une ouïe nonchalante à
des mesures insensées : on frappa des pièces de cuivre pour remplacer la
monnaie d’argent, ce qui amena une nouvelle banqueroute. C’est sous son règne
que le stupide fanatisme de l’inquisition qui, au quinzième siècle avait déjà
exigé l’expulsion des Maranes, imposa l’exil de trois cent mille Morisques, ce
qui priva le royaume d’artisans habiles et parfois renommés. Les Maranes et les
Morisques [42] avaient été convertis
au catholicisme sous menace de mort et on les chassa quand on eut découvert que
leur conversion était peu sincère. Mais comment aurait-elle pu l’être, ayant
été arrachée à la pointe du couteau ?
D’après ce que je sus plus tard par la princesse de
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