Les Roses De La Vie
[43] , un nommé Bullion, lequel défait
pendant la nuit la toile que je tisse le jour. Il propose, de la part de
Luynes, à Lesdiguières la charge de maréchal de camp général qu’il pourra
accepter sans se faire catholique, laquelle charge lui donnera toute la réalité
du pouvoir des armées, Luynes, en tant que connétable, n’en ayant que le titre.
— Et Lesdiguières accepta d’un cœur léger ?
— Nenni ! Avec aigreur, avec amertume, mais il
accepte. D’abord parce qu’il n’a plus à résoudre alors un pénible problème de
conscience. Ensuite, parce que son petit-fils a épousé la nièce de Luynes et
qu’il ne veut point affronter Luynes qu’il croit tout-puissant sur l’esprit du
roi, en quoi il se trompe. Ensuite parce qu’en restant fidèle à l’Église
réformée, il s’apense qu’il pourra mieux rétablir la paix entre les protestants
et le roi – en quoi il se trompe encore. Mais ce sont là des erreurs
d’honnête homme et non point de malhonnêtes intrigues de cour perpétrées à
l’insu du roi.
— Jour du ciel ! Quelle damnable impudence avait
ce Luynes ! Et le roi ne se douta de rien ?
— Comment l’aurait-il pu ? Dès lors que
Lesdiguières convoqué au Louvre et refusant de se convertir, « le supplia
très humblement qu’il trouvât bon qu’il déférât cet honneur au duc de
Luynes ». Convenons que Lesdiguières refusant la charge, il eût été
difficile au roi de ne pas la bailler sur sa prière à son favori.
— Baron, une question, de grâce ! N’eussiez-vous
pu avertir le roi des menées de ce Bouillon ?
— Mais Bouillon était de bonne foi ! dit Déagéant
avec un mince sourire. Je ne sus tout cela que plus tard ! En obéissant
aux ordres du favori, il croyait obéir à ceux du roi : Luynes l’en avait
persuadé…
*
* *
Cinq ou six jours avant la date fixée par Louis pour son
départ en campagne, en avril 1621, le nonce, par l’intermédiaire de Puisieux,
demanda audience au roi, laquelle lui fut aussitôt accordée. On eût pu
s’apenser que le nonce désirait, au nom de Sa Sainteté, souhaiter franc et
grand succès au Roi Très Chrétien au moment où il allait en découdre avec les
protestants. Il n’en fut rien. Et dès qu’il ouvrit le bec, les bras m’en
tombèrent à ouïr son propos, et propos prononcé à un tel moment, alors que le
roi s’allait jeter au hasard d’une guerre civile.
— Sire, dit le nonce, qui, malgré son grand usage de la
Cour, paraissait lui-même embarrassé par ce qu’il avait à dire, Sa Sainteté le
pape a appris avec la plus grande douleur la grande querelle qui a éclaté entre
le duc de Nevers et le cardinal de Guise et le tohu-bohu qui en a résulté à la
Cour, où les uns ont pris parti pour le duc et les autres pour le cardinal.
— Nous y avons apporté le remède qu’il fallait, dit
Louis sans battre un cil.
Et un peu piqué que le nonce eût parlé à propos de sa Cour
de tohu-bohu, il ajouta :
— Grâce à notre départ en guerre, notre bonne noblesse
ne pense qu’à faire son devoir et le tumulte que vous dites est terminé.
— Toutefois, reprit le nonce avec un nouveau salut, Sa
Sainteté le pape n’a pas reçu, touchant cet incident, la satisfaction qu’il
était en droit d’attendre.
— Quelle satisfaction ? dit Louis, sans y mettre de
forme, tant le tour que prenait l’entretien l’étonnait.
— Sa Sainteté le pape, dit le nonce, désire vous
présenter que serrer en geôle un cardinal est une faute grave pour laquelle il
siérait de demander absolution.
Oyant quoi, le roi blêmit puis rougit – signe chez lui
d’une ire qu’il avait peine à réprimer et, envisageant le nonce œil à œil, il
se tut un moment qui nous parut à tous interminable et je gage au nonce plus
qu’à aucun autre. Toutefois, quand il reprit la parole, sa voix, comme son visage,
n’annonçait pas le moindre émeuvement.
— Le roi de France, dit-il, n’a pas à demander
l’absolution à Sa Sainteté le pape pour l’embastillement du cardinal de Guise.
Le cardinal de Guise est l’un de mes sujets et s’il fait mal, la justice veut
qu’il soit puni comme nos autres sujets.
— Sire, dit le nonce, le pape ne saurait se satisfaire
de cette réponse.
— J’en suis fort chagriné, mais je ne saurais
solliciter l’absolution de Sa Sainteté pour une faute qui n’en est pas une. La
faute, c’est le cardinal qui l’a commise, en injuriant le
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