Les Roses De La Vie
dit Soupite avec un air de solennité sur
son juvénile visage. Et vous ne trouverez pas une huître, Monsieur le Comte,
dans la mer océane qui soit plus close sur sa perle que moi sur ce secret.
Mais cette belle effusion poétique fut interrompue par la
voix du roi qui cria de la chambre :
— Soupite ! Soupite ! Petit nigaud ! Où
as-tu mis mon pot ?
Louis était fort capricieux quant au déjeuner qu’il prenait
à son lever. Il le prenait ou il ne le prenait pas, selon son humeur. En
revanche, il n’oubliait jamais d’ouïr la messe, soit à la chapelle de Bourbon,
soit à la chapelle de la grande salle ou encore à la chapelle de l’antichambre
de la reine. Le lecteur entend bien que nous ne manquions pas de lieux de culte
en notre Louvre.
Premier gentilhomme de la Chambre et en outre, Chevalier de
l’ordre du Saint-Esprit, j’avais deux raisons de suivre le roi à la messe et je
ne manquais pas de le faire, quoi qu’il m’en coûtât, car la répétition
quotidienne avait quelque peu émoussé l’émeuvement que j’eusse dû en ressentir.
Et surtout, je n’aimais guère le prêche du père Arnoux qui, malgré les formes
qu’il y mettait, tendait toujours à guider l’esprit du roi vers les chemins
politiques où la Compagnie de Jésus eût voulu qu’il allât.
Cette messe-là, prêche compris, durait bien une heure, ce
qui mangeait prou l’avant-dînée et je sentais bien que Louis, devant moi,
piaffait d’impatience, étant homme de plein air et de chasse et hennissant
après ses galopades. Par malheur, de retour en sa chambre, il ne put ce jour-là
se botter et sauter en selle incontinent, car nous trouvâmes là Puisieux qui,
se génuflexant, lui dit d’un air grave que le marquis de Mirabel, ambassadeur
d’Espagne, suppliait Sa Majesté de le bien vouloir sur l’heure recevoir au bec
à bec, apportant une nouvelle de la plus grande conséquence.
Louis jeta par la fenêtre ouverte un regard de regret, car
le ciel d’avril était doux et clair, mais connaissant bien le marquis de
Mirabel, il ne pouvait ignorer le sérieux de ses démarches et sans déclore les
lèvres, il fit à Puisieux un signe d’assentiment, gagna d’un pas rapide la
salle des audiences, gravit l’estrade qui le séparait du commun des mortels et
s’assit, Soupite derrière lui, tandis que Puisieux et moi demeurions debout sur
le degré.
Le marquis de Mirabel, qui se faisait suivre à l’accoutumée
d’une suite nombreuse, apparut, flanqué d’un seul personnage, un moine dont la
bure grise signalait qu’il appartenait aux cordeliers, ordre plus ascétique que
l’ordre des franciscains dont il est issu. Toutefois, à ne considérer que la
terrestre guenille de ce religieux, le peu qu’il mangeait devait lui profiter
prou, la corde qui ceignait ses reins me paraissant fort tendue sur sa
bedondaine.
À l’accoutumée, l’humeur du marquis de Mirabel répondait
assez bien aux sonorités claires de son nom, mais sa face réjouie portait, ce
jour-là, un air qui, dès l’abord, me donna fort à penser. Mirabel salua Louis
jusqu’à terre, Louis lui rendit son salut, Mirabel lui rendit le salut de son
salut et les bonnetades se succédèrent ainsi jusqu’à ce que Louis, par la façon
ferme dont il remit à la parfin son chapeau sur la tête, signifia que les
civilités étaient terminées.
— Parlez, de grâce, Monsieur l’ambassadeur ! dit
Louis.
Le visage de l’ambassadeur s’enfonça alors de deux ou trois
degrés dans la tristesse protocolaire et courbant la tête, il dit d’une voix
funèbre :
— Mi signor el rey de España ha muerto [40] .
À quoi le cordelier ajouta en écho d’une voix sonore :
— Dios lo ha recevido en su seno [41] .
J’entendis bien alors pourquoi le cordelier se trouvait ce
jour-là au côté de l’ambassadeur. C’était pour donner l’assurance, avec toute
l’autorité de sa bure, que cette mort n’en était pas une, puisque le Seigneur
n’avait pas manqué de recevoir aussitôt le défunt roi en son sein.
L’étiquette eût voulu que, s’adressant au roi de France,
l’ambassadeur s’exprimât en français. Et en d’autres circonstances, Louis, qui
tenait fermement à ce qu’on lui rendît les égards qui lui étaient dus, eût prié
Puisieux de le ramentevoir à l’envoyé espagnol. Mais l’heure n’était pas à ces
susceptibilités, portant en elles de si graves résonances. Certes, le royaume
de France n’avait guère eu à
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