Les Roses De La Vie
duc de Nevers et en
lui faisant batture et frappement.
— Mais un cardinal à la Bastille ! dit le nonce
d’une voix gémissante en levant les deux mains en l’air.
— Il y est fort bien traité, dit le roi au bout d’un
moment. Et je préfère le savoir là que sur le pré, en train d’affronter l’épée
du duc de Nevers.
— Sire, dit le nonce, plutôt que d’embastiller le
cardinal de Guise puisqu’il court un danger tel et si grand, ne siérait-il pas
de lui faire épouser quelque temps un des châteaux des Guise sous la garde de
son frère aîné ?
— J’y songerai, dit Louis.
Ayant salué à nouveau le nonce, il se leva de sa chaire pour
lui signifier que l’audience était terminée.
C’est merveille, quand j’y pense après tant d’années, avec
quelle rapidité cet entretien – en dépit du petit nombre de personnes qui
en furent les témoins – fit le tour de la Cour, du Parlement, de la ville,
des provinces proches de Paris et bientôt de la France entière. À telle
enseigne que Monsieur de Saint-Clair m’en écrivit d’Orbieu, me demandant si la
chose était vraie. C’est merveille aussi comme l’intervention du nonce changea
l’opinion qu’on avait de la querelle. Jusque-là, les gens prenaient parti, qui
pour le cardinal, qui pour Nevers, mais tous quasi unanimement trouvaient, sans
le dire tout haut, assez scandaleux que le roi eût embastillé un cardinal. Mais
dès lors que l’intervention du nonce fut connue, la fibre gallicane se réveilla
chez les Français et quasi unanimement, on donna tort au pape et on souhaita
bonne et longue geôle au cardinal querelleur.
Le soir même, sur le reçu d’un billet des plus impérieux,
j’allai visiter la duchesse de Guise, laquelle, dès l’abord, me demanda en
termes véhéments de prier le roi de la recevoir le lendemain.
— Eh ! que lui allez-vous dire, Madame ?
Peux-je vous le demander ?
— De confiner le cardinal dans un de nos châteaux, à la
garde de Charles.
— Madame, excusez-moi, mais cette requête est tout à
plein inutile. Louis ne vous l’accordera jamais.
— Et pourquoi cela, s’il vous plaît ? dit ma bonne
marraine.
— Parce que c’est là l’alternative que le nonce lui a
suggérée et en l’acceptant, Louis craindrait de donner l’impression qu’il se
soumet à l’envoyé du pape.
— Babillebahou, mon filleul ! dit la duchesse en
agitant ses petites mains sous mon nez. Je sais mieux que vous ce que je dois
faire pour mes enfants. La Bastille ! Fi donc ! La réclusion dans un
de nos châteaux de famille est la meilleure solution pour ce pauvre
petit !
— Madame, outre que ce pauvre petit a quarante-six ans
et a marché, sa vie durant, de folie en folie, je viens de vous dire que le roi
n’acceptera jamais cette solution. Oyez-moi, de grâce !
— Nenni ! Monsieur ! Vous êtes un mauvais
frère de ne la point vouloir ! Cette solution est la bonne solution !
C’est mon opinion et mon confesseur la partage !
— Votre confesseur, Madame ? Un Jésuite ?
Comment serait-il d’une autre opinion que le nonce ?
— Je ne vous ois point ! Je ne vous ois point du
tout ! cria la petite duchesse en se bouchant les oreilles. Courez !
Monsieur ! Courez prier le roi de me recevoir ou de ma vie je ne vous
reverrai !
J’obéis et assurément, je n’eusse pas couru si vite, si
j’avais pu prévoir les lointaines conséquences de cette audience que j’allais
quémander pour ma bonne marraine. J’y ai songé plus d’une fois depuis. Il y a
parfois dans l’enchaînement hasardeux des causes et des effets une ironie si
dramatique qu’elle devrait nous faire réfléchir davantage sur la futilité de
nos desseins. Si la duchesse douairière de Guise ne s’était pas allée jeter aux
pieds du roi pour le prier avec des larmes de tirer le cardinal de la Bastille,
si le roi, tout en refusant, comme je l’avais prévu, de le serrer dans un des
châteaux des Guise sous la garde de son aîné, n’avait pas voulu en même temps
donner quelque marque de faveur à l’illustre famille des Guise, laquelle ni
contre la régente ni contre lui-même ne s’était jamais jointe aux rébellions
des Grands, il n’aurait pas imaginé de donner quelque satisfaction à ma bonne marraine
(et par voie de conséquence, au pape) en débastillant le cardinal, mais en lui
enjoignant, en revanche, de le suivre en sa campagne contre les protestants. Et
le cardinal, tout joyeux
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