Les Roses De La Vie
faillant, il se repliait sur son
enfance et sur un de ses « petits gentilshommes « auprès de qui,
après la mort d’un père très aimé, il avait trouvé l’affection que sa mère lui
refusa toujours. Je me ramentois que le quatorze décembre, la veille du jour où
Luynes mourut, Louis s’amusait d’un air morne à faire voler ses oiseaux quand
soudain, levant la tête, il parut frappé d’une idée et dit d’un air
joyeux : « Je m’en vais chez Monsieur le comte de Schomberg. »
— Louis fut-il affligé de la mort de Luynes ?
— Oui, je le crois. Affligé et soulagé. Luynes mort, il
ne voulut pas rester une heure de plus à Longuetille et alla coucher à Damazan,
où il retrouva Monsieur. Il l’étreignit avec un renouveau d’affection, ce qui
nous étonna et d’ailleurs dura peu, Gaston étant ce qu’il était. De Luynes, il
ne parla plus.
— Plus du tout ?
— Hormis une fois, une seule, devant quelques familiers
dont j’étais. Il prononça un jour une phrase qui nous frappa tous, parce
qu’elle disait beaucoup de choses en peu de mots : « Je l’aimais,
dit-il, parce qu’il m’aimait, mais il lui manquait quelque chose. »
*
* *
Quand, de retour à Paris, en notre hôtel de la rue du Champ
Fleuri, je rapportai ce propos à mon père, il me le fit d’abord répéter, puis
s’étant réfléchi un petit, il me dit :
— Tout est à retenir, dans cette sorte d’oraison
funèbre. Elle est brève, et sa brièveté même en dit long. Louis parle de son
amitié pour Luynes au passé, et en effet, elle est deux fois défunte, dans le
temps et dans son cœur. D’éloges, point. De critiques, une seule, mais
capitale, et toutefois, soigneusement voilée par une litote.
— Qu’est-ce qu’une litote ? demanda La Surie,
toujours avide de s’instruire.
— Une façon d’exprimer les choses par laquelle on en
dit moins que ce qu’on pourrait dire.
— Et pourquoi ne pas dire tout cru que ce
« quelque chose » qui manquait à Luynes, c’était le courage ?
— Se peut, dis-je, que Louis ait voulu par un reste
d’affection ménager la mémoire de Luynes…
— Se peut, dit mon père avec un sourire, que Louis ait
voulu se ménager lui-même. Car s’il avait parlé cru, comme Miroul vient de
faire, n’eût-on pas été en droit de lui demander pourquoi il avait nommé
connétable de France un couard avéré ?
CHAPITRE XIII
Ce fut assurément une sage décision, et qui demandait
quelque courage, que de lever le siège de Montauban, car la maladie autant que
l’hiver auraient achevé de décimer l’armée. Mais d’un autre côté, Louis ne
pouvait qu’il ne vît qu’il signait là, aux yeux de tous, la défaite de ses
armes.
Le retour en Paris en fut excessivement attristé. Bien que
Louis se donnât peine pour ne rien laisser paraître, il était véritablement au
désespoir de l’échec qu’il avait subi. D’aucuns prétendent qu’ils l’ont vu pleurer.
Je n’en crois rien. Ce n’était ni dans sa nature, ni dans l’idée qu’il se
faisait de la dignité royale, que de donner le spectacle de ses larmes à aucun
de ses sujets. Mais à quelques mots qui lui échappèrent, j’entendis bien que
s’il reconnaissait toutes les fautes que Luynes avait commises dans la
poursuite du siège, il l’en accusait moins qu’il ne s’en accusait lui-même,
ayant donné à un homme d’aussi peu de talent plus de pouvoir qu’il ne pouvait
porter. Je l’ouïs dire, se parlant à lui-même, qu’il n’aurait plus de favori et
qu’il ne se laisserait plus gouverner par personne.
À Orléans, il eut la surprise de trouver le comte de
Soissons qui avait fait tout le voyage de Paris à Orléans pour le venir saluer.
Louis lui fit bon accueil, entendant bien qu’il s’était alarmé à tort de ce
qu’en son absence le comte avait cru bon de rechercher les bonnes grâces de la
reine-mère. À ce qu’on me dit, Soissons et Condé s’embrassèrent et on ne parla
plus de la célèbre serviette qui avait divisé si âprement les deux princes du
sang et, par voie de conséquence, la Cour tout entière. « Voilà bien les
Gaulois ! dit mon père. Ils font un drame de la moindre bagatelle et le
lendemain, ils l’ont déjà oubliée. »
Le vingt-huit janvier, Louis fit son entrée à Paris où, le
trente et un du même mois, il admit la reine-mère en son Conseil. Je ne saurais
dire s’il prit cette décision seul, ou avec ses
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