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Les Roses De La Vie

Les Roses De La Vie

Titel: Les Roses De La Vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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laissèrent
béant et achevèrent de me convaincre qu’il fallait ouïr jusqu’au bout la
garcelette et qu’elle ne débitait pas un rôle appris.
    — Mademoiselle, dis-je gravement, parlez, je vous donne
ma parole de gentilhomme que la source de cette information ne sera jamais
révélée.
    — Monsieur le Comte, vous n’ignorez pas que le soir du
quatorze mars 1622, après souper, on tint le lit [46] chez la princesse de Condé. En cette
soirée brillante, vous assistâtes, à ce qu’on m’a dit, Monsieur le Comte.
    — J’y allai, en effet, mais je me retirai tôt. Tout
amusantes qu’elles soient, ces clabauderies perpétuelles sur le prochain
finissent par me lasser.
    — Elles ne lassent pas, en revanche, Mademoiselle de
Verneuil ni Madame de Luynes, lesquelles entraînèrent à cette soirée la reine
qui eût mieux fait de rester dans son lit, devant se ménager pour les raisons
que l’on sait. Elle demeura en cette soirée chez la princesse de Condé jusqu’à
une heure après minuit et se sentant alors fort lasse, elle demanda à
Mademoiselle de Verneuil et à Madame de Luynes de la raccompagner chez elle.
Or, pour retourner en ses appartements, Sa Majesté et ses compagnes devaient
traverser la grande salle des fêtes au bout de laquelle se trouve l’estrade où
l’on dresse à l’occasion le trône du roi. Bien que les trois dames eussent avec
elles un valet de chambre qui portait une lanterne, la salle leur parut sombre.
Elle est en outre glaciale et d’une longueur démesurée. Et Madame de Luynes,
soit qu’elle eût froid, soit que l’idée lui en parût plaisante, proposa à la
reine de traverser ladite salle en courant et, la reine protestant qu’elle
était trop faible pour cet exercice. Madame de Luynes l’empoigna sous le bras
droit, enjoignit à Mademoiselle de Verneuil de saisir Sa Majesté sous le bras
gauche, et à elles deux, la poussant en avant, la mirent et se mirent au pas de
course, le valet de chambre qui éclairait devant elles leur chemin étant
bientôt dépassé. Tant est qu’étant arrivé à l’extrémité de la salle, le trio ne
vit pas l’estrade du roi, buta dessus et tomba. Madame de Luynes et
Mademoiselle de Verneuil se relevèrent en riant aux éclats, mais la pauvre reine
poussa un cri, se plaignit d’une vive douleur au ventre et il fallut quasiment
la porter jusqu’à sa chambre. La suite, comme bien vous savez, Monsieur le
Comte, survint deux jours plus tard et consterna le royaume.
    Ce récit me laissa pantois et il me fallut quelques instants
avant que je pusse retrouver mes esprits.
    — Mademoiselle, dis-je enfin, peux-je vous demander
comment vous avez appris ces faits ?
    — Bien contre mon gré. Monsieur le Comte. J’ai surpris
une conversation entre la reine et ses amies.
    — Mademoiselle, au cours de cet entretien, la reine
fit-elle reproche à Madame de Luynes de l’avoir fait courir dans l’état où elle
se trouvait ?
    — Oui. Mais Madame de Luynes réussit à la convaincre
qu’elle y avait consenti. Madame de Luynes est toute-puissante sur l’esprit de
la reine.
    Je laissai passer un silence puis je me levai et je
dis :
    — Mademoiselle, votre récit sera rapporté au roi.
    — Monsieur, dit-elle en se levant à son tour,
donnez-moi votre parole de gentilhomme…
    — Mademoiselle, une parole de gentilhomme ne se répète
pas. Je vous l’ai donnée. Cela suffit.
    Elle rougit quelque peu et, sans piper, me fit une nouvelle
révérence, mais plus courte que la première. Je sentis bien qu’elle était
offensée par ma petite rebuffade et l’accompagnant à mon huis, je lui dis,
avant de l’ouvrir pour elle :
    — Mademoiselle, vous avez fait preuve d’un grand
courage en cette affaire.
    Son œil bleu s’éclaira, mais son merci n’alla pas plus loin
qu’un roide salut de la tête. Ma fé ! pensai-je, cette petite personne a
du caractère. Elle donnera du fil à retordre au gentilhomme qui l’épousera.
    Après son partement, je ne pus lire les Essais plus
avant et ma nuit fut fort désommeillée tant je me tracassais la cervelle à
tâcher de décider ce que je devais faire. J’inclinais fort à croire la
garcelette. Son récit avait l’accent du vrai, mais quelle preuve avais-je de sa
vérité ? Testis unus, testis nullus [47] , dit
le vieil adage. Et allais-je m’aventurer à troubler profondément l’esprit du
roi sur la foi d’un unique témoignage ?
    Le lendemain, je dépêchai La Barge chez

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