Les Roses De La Vie
qu’étant née d’un sang égal au sien, elle se
devait de ne point plier devant sa tyrannie. Séparer deux inséparables,
n’était-ce pas un crime ? Qu’aurait fait Louis, si Marie de Médicis, sous
la régence, eût tout soudain décidé d’enlever Luynes à son affection ?
Fallait-il que Louis se montrât plus cruel envers son épouse que la moins douce
des mères s’était montrée envers lui ?
Ces paroles touchaient au point le plus tendre le cœur de la
pauvre reine qui, privée de Madame de Luynes, se voyait, d’ores en avant, vivre
dans un désert. Et Madame de Luynes, quant à elle, l’assurait que la priver de
la reine, c’était quasiment la priver de la vie, qu’elle ne survivrait pas à
cette odieuse disgrâce. Et se jurant alors une éternelle amitié, les deux
femmes s’étreignaient et mêlaient leurs pleurs.
Si Anne eût mieux connu son mari – car l’incompréhension
était égale des deux parts –, elle n’eût pas imaginé de faire fléchir sa
décision en lui envoyant quasi à chaque étape de sa marche contre les huguenots
un ambassadeur pour plaider la cause de sa favorite : ce furent successivement
son écuyer, Monsieur de Putange (deux fois), Monsieur de Bonneuil, Monsieur de
Montbazon (le père de la favorite). Monsieur de Verneuil, le duc de Guise, et
fort maladroitement, l’amant de Madame de Luynes, mon demi-frère Claude, le duc
de Chevreuse.
L’irritation du roi croissait à chaque envoyé et à tous et à
un chacun il faisait la même réponse : « La résolution que j’ai prise
ayant été avec bonne considération arrêtée, je n’y puis rien changer. »
Exaspéré à la parfin par tant d’insistance, il écrivit au
grave président Jeannin de se rendre chez la reine et de lui dire
« qu’absolument il ne voulait plus qu’elle vît la connétable de Luynes que
parfois et rarement ».
Quand je sus les termes de cette lettre, ces deux adverbes
ensemble ne laissèrent pas de m’étonner. Et à y réfléchir plus outre, j’oserais
avancer que leur juxtaposition était très révélatrice de l’aversion passionnée
du roi pour Madame de Luynes car, ayant donné d’une main le
« parfois », il le retirait de l’autre par le « rarement »
qui en effet réduisait le « parfois » à si peu de chose que le roi,
s’il l’avait voulu, eût pu sans inconvénient le barrer.
Anne céda, mais dans l’amertume et le ressentiment. Mais
Madame de Luynes, Machiavel aux mille ruses, ne se tint pas pour battue et
cherchant un bouclier contre la colère du roi, elle dépêcha un gentilhomme à
son amant, le duc de Chevreuse (qui l’était déjà du vivant de Luynes), pour lui
demander de l’épouser.
Mon demi-frère était alors en pèlerinage à
Notre-Dame-de-Liesse à Laon, sanctuaire très vénéré, parce qu’il abritait une
statue rapportée de Terre sainte qui, en raison de son origine et de son
ancienneté, était réputée faire des miracles. Louis, on s’en ramentoit, avait
recouru à ses bons offices et lui avait promis une statue en or si son épouse
guérissait.
Le duc de Chevreuse n’était pas seul en ces lieux sacrés,
mais accompagné de ses bons amis. Messieurs de Liancourt, de Blainville, Zamet
et Fontenay-Mareil, avec qui il se recueillait le matin à l’église et le soir
menait joyeuse vie.
Claude, après avoir lu la lettre de Madame de Chevreuse,
consulta ses compagnons. Leur avis fut unanime : il valait mieux qu’il
refusât, Madame de Luynes étant si odieuse au roi.
— Vous avez mille fois raison, dit Claude, je vais la
refuser.
Et il le dit au gentilhomme que Madame de Luynes lui avait
dépêché.
De retour à Paris, au cours d’une de ces réunions de famille
auxquelles les Guise étaient accoutumés (mais je n’en fus pas, étant avec le
roi, et la princesse de Conti n’en fut pas non plus, pressentant ce qui allait
s’y dire), Claude consulta les siens.
— Mon pauvre Claude, vous ne ferez donc jamais que des
folies dans votre vie, dit le duc régnant qui, à cet instant, oubliait les
siennes. Ne voyez-vous pas que cette rusée se sert de vous pour faire échec au
roi ? Et en effet, si elle vous marie, qui oserait chasser du Louvre
l’épouse d’un Guise ? Voulez-vous donc prêter la main à cette petite
intrigue ?
— En outre, dit ma bonne marraine qui, à cet instant,
n’était point fort bonne, cette femme, avec son visage d’ange, est le diable
incarné. Elle n’est que griffes et
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