Les Roses De La Vie
missives leur dirait le reste
de ses intentions.
Je n’écrivis pas cette dernière phrase sans trembler en mon
for, me demandant si Louis avait fait choix de ma personne pour une ambassade
qui serait si odieuse à celles qui la recevraient. À mon très grand
soulagement, il appela Berlinghen et lui ordonna de quérir dans l’instant
Monsieur de La Folaine.
Le caractère de Monsieur de La Folaine ne correspondait en
aucune façon au nom allègre qu’il portait. C’était un personnage lent, grave,
mesuré, je dirais même austère, qui avait été marié deux fois et deux fois
veuf, mais sans grande fâcherie.
— Folaine, dit Louis, d’une voix brève et saccadée,
après avoir lu ces lettres aux intéressées, vous ordonnerez en mon nom à Madame
de Luynes de quitter son appartement du Louvre et de ne plus paraître à la
Cour. Vous porterez le même commandement à Mademoiselle de Verneuil, la
commettant, en outre, aux bons soins de la duchesse d’Angoulême. Et vous
informerez Sa Majesté la reine de ces mesures.
La gravité d’un tel châtiment frappant des personnes d’une
telle qualité laissa Monsieur de La Folaine béant et il se risqua à demander au
roi s’il devait dire à Sa Majesté la reine le pourquoi de ces sanctions.
— Sa Majesté la reine ne l’ignore pas, dit le roi d’une
voix sèche.
Il donna alors congé à Monsieur de La Folaine et je lui
demandai le mien, voulant me mettre à la recherche d’un logis. Et tandis que je
quittais la pièce, je l’entendis murmurer avec un soupir : « Dieu
merci, j’en ai fini avec cette affaire ! »
Hélas ! Comme il en était loin ! Et comme il
connaissait mal le gentil sesso et sa rare capacité à devenir beaucoup
moins que gentil, dès lors qu’il se sent offensé. Il avait puni la reine et ses
amies avec la même roideur dont il aurait usé pour infliger l’estrapade à un
soldat maraudeur. Il n’allait pas tarder à découvrir qu’il est plus facile à un
roi de se faire obéir d’une armée que de son épouse.
Anne venait d’entrer dans sa vingt et unième année, mais en
son for elle était plus jeune encore que son âge, sans beaucoup de plomb en
cervelle et ayant reçu à la Cour de Madrid une instruction des plus pauvres.
Surtout, elle n’avait jamais vécu que dans les frivolités et les caquets d’un
gynécée, de prime avec ses dames espagnoles qui ne rêvaient que friponneries,
ensuite avec ses amies françaises dont les propos étaient aussi libres que les
conduites. Elle aimait avec elles s’ébaudir et batifoler, lire des livres
licencieux et, le cas échéant, mugueter avec les beaux seigneurs de la Cour de France,
mais sans que cela tirât vraiment à conséquence. Et parce qu’elle n’allait
jamais jusqu’au bout de ces jeux – pas plus avec ces gentilshommes que
plus tard avec Buckingham –, elle se croyait sans tache et se pardonnait
tout.
Et demeurée Infante d’Espagne en son cœur et imbue d’orgueil
castillan, elle avait d’elle-même la plus haute idée et s’estimait au-dessus
des lois de ce royaume dont elle était la reine. Plus tard, demeurée veuve avec
un fils de quatre ans, et défendant bec et ongles son trône, elle considéra que
puisque ce pays appartenait à son aîné, il ne pouvait être que le sien. Et elle
devint française. Mais pour l’instant, elle l’était fort peu, et très
malheureusement aussi, elle le devait prouver en pleine guerre franco-espagnole
en entretenant de coupables intelligences avec l’ennemi.
Pour en revenir à nos présents moutons, ce mois de mars 1622
fut assurément très peu faste pour la pauvre Anne. Toutefois, étant de nature
ébulliante et légère, elle se consolait de sa déception en se disant qu’elle
était encore fort jeune et que la nature lui permettrait un jour d’aller
jusqu’au bout de sa maternité. Cette fiance en l’avenir lui donnait pour le
présent une émerveillable indulgence : à ses yeux, la course folle dans
son état dans la grande salle du Louvre n’était en somme qu’un enfantillage qui
avait mal tourné. Et l’idée ne lui venait même pas que le roi de France pût
considérer cette petite chatonie comme un crime contre sa dynastie.
Son intime amie Madame de Luynes, qui était la plus experte
avocate du diable qu’on pût trouver en ce pays, lui murmurait à l’oreille
qu’elle était plus à plaindre qu’à blâmer, que le roi faisait preuve à son
égard d’une rigueur excessive et
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