Les Roses De La Vie
l’a
baisée sur les deux joues.
Louis leva la tête de son assiette, considéra l’hôtesse qui
se génuflexait devant lui et lui souleva gravement son chapeau, mais sans dire
mot ni miette.
L’hôtesse en fut toute déconfite, mais se reprenant, elle
s’écria avec une naïveté qui amena des sourires à la ronde :
— Sire, autrefois, j’ai baisé votre père, mais je vois
bien que je ne vous baiserai pas.
Elle reprit :
— N’empêche, Sire, je souhaite que Dieu vous bénisse et
vous donne bonne et longue vie.
Puis faisant une profonde génuflexion, elle s’en alla. Après
le dîner, elle revint dans ma chambre et comme je voyais qu’elle en avait gros
sur le cœur, je lui dis :
— M’amie, mes baisers ne sont pas royaux, mais si tu
les veux, les voici.
Elle en pleura et après un moment occupé à sécher ses
pleurs, elle me dit sur le ton de la confidence :
— Ma fé ! Il est si jeune et si sérieux ! Je
me pense bien qu’avec son grand royaume, il a des pointillés à ses ongles
ronger. Mais vramy ! Il n’est point comme son père était : si vif à
la gausserie et si prompt aux poutounes.
CHAPITRE III
Mon père et le chevalier de La Surie revinrent du domaine
les joues gonflées de ses mérites. Ils y étaient demeurés trois jours, avant
reçu gîte et couvert au presbytère du curé Séraphin, nos gens étant logés à nos
dépens au cabaret du village, lequel, quoique fruste, n’était ni sale, ni
puceux.
— À cent mille livres, la seigneurie est un excellent
bargouin, dit mon père, quand il m’accueillit à mon retour de Rouen. Elle a
souffert, assurément, de l’absence du maître. On a fait dans les bois des
coupes excessives, mais ce boisillage ne menace pas les futaies, qui sont
superbes. Quelques bas prés ont été gâtés, faute de les avoir rigolés à temps
pour écouler les eaux. On a laissé la ronce et le chiendent envahir de bonnes
pâtures. Des labours depuis quatre ans sont laissés en jachère. On n’a curé ni
les rus, ni les fossés. Les voies qui parcourent le domaine ne sont qu’ornières
et fondrières. Par bonheur, le four, le moulin, le pressoir – qui sont
banaux, mon fils ! – sont intacts. On voit bien que l’intendant les a
bien ménagés afin d’en tirer, au nom du feu comte d’Orbieu, des pécunes qui par
une irrésistible pente roulaient dans sa propre escarcelle.
— Et le château, Monsieur mon père ?
— Il est quasiment neuf, ayant été construit sous
Henri IV en bel appareillage de pierres et de briques. Et contrairement à
ce qui a été dit, il ne requiert pas réparations. Le bâtiment est flanqué de
droite et de gauche par des communs et fermé sur le quatrième côté par des murs
hors échelle percés en leur centre d’une porte à forts battants aspée de fer,
et armée en son faîte de pointes. La cour est assez vaste pour que s’y réfugie
tout le village au cas où des soldats maraudeurs voudraient se livrer à leurs
coutumiers exploits : meurtres, picorées et forcements de filles. Deux
petites tours flanquent la porte cochère, tant est qu’en y mettant quelques
mousquets, leur feu empêcherait les assaillants de pétarder la porte ou de
l’enfoncer.
— Diantre ! dis-je. À une journée de cheval de
Paris faut-il encore tant de défenses ?
— Il faut croire qu’en nos guerres elles se sont
imposées, dit mon père. Ne savez-vous pas, de reste, que dans le plat pays les
soldats pillent les nôtres tout autant que les ennemis.
— Et l’eau, Monsieur mon père ?
— Des sources en abondance !… Et sur le côté ouest
du château et quasiment longeant les murs, s’étend un vaste étang alimenté par
un ruisseau vif. On m’a conté que le lendemain de la mort du feu comte
d’Orbieu, l’étang a été, en une seule nuit, vidé de tous poissons par ses
manants [10] .
— Et l’intendant ?
— Il s’est bien gardé de montrer sa vilaine face. Un an
plus tôt, d’une fenêtre du château, à l’aube, il a arquebusé à mort un
malheureux braconnier coupable de prendre au filet une des grosses carpes de
l’étang. Le sieur a dû faire enterrer le corps à la sauvette, car on ne l’a pas
retrouvé. Depuis ce bel exploit, Rapinaud – c’est le nom de
l’intendant – est honni de tout le village.
— Et la justice du roi ?
— Elle n’eût pu être saisie que par le comte,
c’est-à-dire, en son absence, par l’intendant lui-même. En outre, la justice
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