Les Roses De La Vie
trente ans aux plus offrants,
mais sans inquiéter en aucune façon le Tiers État qui savait bien que le trésor
ne renoncerait jamais à cette recette.
On flatta le Tiers État en réclamant une forte diminution
des pensions versées aux Grands – sans que sourcillassent le moindre les
treize Grands présents à l’assemblée. Ils savaient bien qu’aucun gouvernement
ne pouvait se permettre d’appliquer une mesure aussi blessante à leur endroit
sans provoquer des rébellions.
On caressa les évêques en recommandant au roi de ne plus
accorder d’abbayes à des personnes – hommes ou femmes – dont la
conduite laissait à désirer. Mais on se garda bien de prier le roi de ne plus
nommer à la tête des évêchés des cadets de grande maison que leurs mœurs et
leur peu de foi rendaient impropres à ces fonctions. Si on l’avait fait, on
aurait contraint d’aucuns des prélats présents à faire in petto un acte
de contrition et, en particulier, mon demi-frère l’archevêque de Reims qui
passait plus de temps dans le giron de Charlotte des Essarts qu’au pied des
autels.
Vint enfin le moment suprême : on demanda la
suppression de la paulette. On se ramentoit sans doute que cette mesure
avait fait l’objet d’interminables débats aux États Généraux de 1614 et que
Madame de Lichtenberg, à qui j’avais dit que la noblesse voulait « la mort
de la paulette », me demanda d’un air effaré :
— Qui est cette personne et pourquoi la veut-on
occire ?
La Dieu merci, ce n’était pas une personne, mais une taxe
ainsi appelée du nom de son inventeur [8] . Tous ceux qui comme
moi avaient acheté une charge ou un office devaient verser chaque année au
Trésor cette paulette -là , qui était fixée au soixantième de la
valeur d’achat de la charge. Je la payais donc moi aussi, et pour mon futur
fils aîné (encore dans les limbes) j’en étais fort aise, car elle me
permettrait, le jour venu, d’échapper à la terrible règle des quarante jours.
Supposez, belle lectrice, que je sois, au fil des temps,
devenu si vieil qu’il n’y ait plus assez d’huile dans la lampe pour qu’elle
brille beaucoup plus longtemps. Je pourrais certes résigner mon office de
premier gentilhomme de la Chambre en faveur de mon fils aîné, mais selon cette
macabre règle que j’ai dite, il me faudrait survivre à cette résignation quarante
jours au moins. Sans cela, ladite résignation ne serait plus valable et ma
charge reviendrait à la couronne, au grand dol et dommage de mon fils aîné.
Belle lectrice, j’ose le demander : quel homme au monde
pourra jamais calculer avec une telle précision la longueur de sa propre
agonie ? Or, la paulette remédiait à cette terrible angoisse. Elle
supprimait la règle des Quarante jours. Ayant payé la paulette, vous
pouviez résigner votre charge la veille même de votre mort sans que votre fils
perdît pour autant le bénéfice de votre charge.
Or, la noblesse, unanime, haïssait la paulette :
pour la raison que, comparée au Tiers État, la noblesse disposait de peu
d’offices, n’ayant ni les pécunes pour les acheter ni les capacités pour les
remplir ; et surtout, parce que la paulette, en rendant quasi
automatique la transmission héréditaire des charges, tendait à créer une
aristocratie bourgeoise héréditaire, plus riche et à la longue plus influente
dans le royaume que l’aristocratie d’épée.
Avec quelles délices les nobles de l’assemblée de notables
acclamèrent la résolution des notables – tous chargés d’offices – de
se suicider sur l’autel du bien public. Toutefois, ils eussent dû se méfier
davantage de ces rusés matois peu aptes à manier l’épée, mais si agiles de la
cervelle. Car en même temps qu’ils réclamaient la mort de la paulette, ils
faisaient remarquer que sa suppression entraînerait pour le Trésor une perte
annuelle de 1 500 000 livres, perte qu’on ne devrait en aucun
cas, dirent-ils, compenser par une surcharge des impôts. En clair, cela voulait
dire que ne pouvant trouver d’autres ressources pour compenser la perte de la paulette, celle-ci, bien que condamnée à mort, était appelée à survivre. On ne
pouvait se montrer plus chattemite.
Sur leur départir, le 29 janvier 1618, Louis reçut en
grande pompe les notables en son château de Madrid, lequel se dressait au Bois
de Boulogne non loin du village de Nully [9] . Brièvement, comme à
l’accoutumée, Louis les remercia
Weitere Kostenlose Bücher