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Les Roses De La Vie

Les Roses De La Vie

Titel: Les Roses De La Vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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d’atteindre le bout de l’an sans trop crier famine.
    — Mon père, dis-je en reposant sur mon assiette en
vermeil le succulent morceau de rôt que je me préparais à porter à ma bouche,
ne pensez-vous pas qu’en prenant possession de ma seigneurie, je pourrais
renoncer à ces redevances archaïques du moulin, du four et du pressoir ?
    — Eh quoi ! vous renonceriez à vos droits
seigneuriaux ! s’écria La Surie, d’autant plus indigné qu’il n’avait
accédé qu’en son âge mûr à la noblesse et à la terre, ayant été jusqu’à sa
quinzième année un petit galapian orphelin du plat pays, sans feu ni logis, et
vivant de rapines, de larcins et de braconnage, jusqu’à ce que mon père, qui avait
son âge, le prit sous sa protection. Si vous faisiez cela, poursuivit-il avec
passion, les nobles voisins vous haïraient et vos manants vous tiendraient pour
fol !
    Le marquis de Siorac, quant à lui, sourit et après avoir
laissé libre cours à l’indignation de La Surie qui se continua encore quelque
peu, il dit :
    — Pierre-Emmanuel, si vous abandonnez votre redevance
sur le moulin banal, comment allez-vous l’entretenir, le réparer et payer les
manouvriers qui le font marcher ? Le moulin est un service dont use le
domaine tout entier et il doit être rémunéré par tous, mais, cela va sans dire,
à son juste prix.
    Je pensai alors et je pensai depuis qu’il y avait une
réponse à cet argument, mais je ne sus lui donner corps et je me tus.
    — Monsieur mon fils, reprit le marquis de Siorac, après
un instant de silence, si l’on excepte quelques petits séjours que vous fîtes à
Mespech, vous n’avez vécu jusqu’ici qu’à la Cour, au Louvre et dans les beaux
châteaux du roi : Saint-Germain, Vincennes, Fontainebleau, Madrid –
loin, fort loin du plat pays et de ceux qui y vivent. Il se peut, par
conséquent, que vous ayez oublié que c’est la terre, et la possession de la
terre, qui fonde la noblesse. Cela est si vrai qu’il n’est pas commerçant bien
garni, ou bourgeois enrichi par sa charge, qui ne s’évertue à acquérir un grand
lopin dont il prendra le nom.
    — Témoin, dit La Surie qui aimait rappeler que mon
arrière-grand-père paternel tirait son origine, comme lui-même, de la roture,
votre aïeul, Charles Siorac, apothicaire à Rouen, qui acheta, dès qu’il eut
assez de pécunes pour le faire, un moulin appelé La Volpie et, glissant un
« de » entre son prénom et Siorac, se nomma d’ores en avant Charles
de Siorac, Seigneur de La Volpie.
    — Mais il ne prétendait pas pour autant être noble, dit
mon père vivement. Dans les actes notariés où nous avons sa signature, il ne
faisait pas précéder son nom de la mention « noble homme », usuelle
en ce cas.
    — Comme vous savez, Monsieur mon père, dis-je
gravement, ma lignée Siorac, arrière-grand-père compris, m’est plus chère et
plus proche que ma lignée Guise, car il me semble que c’est de ce côté-là que
je tire les quelques qualités que vous voulez bien me reconnaître.
    — Et je crois bien que vous avez raison, dit le marquis
de Siorac, mais avec un petit sourire, comme pour se moquer un petit de notre
orgueil familial dont pourtant il donnait lui-même tant de quotidiennes
preuves.
    Le dîner étant fini, mon père se leva, se campa devant la
cheminée pour se chauffer le dos, puis il dit avec un certain air de pompe et
de cérémonie :
    — Pour en revenir à Orbieu, je dirais que pour vous,
Monsieur mon fils, l’acquisition de ce domaine est, comme eussent dit les
Latins, lucem candidiore nota [11] . Car jusqu’ici, vous
ne portiez qu’un de ces titres de courtoisie que l’on donne aux cadets. Notre
Henri vous avait fait chevalier, tant pour reconnaître les services que ma
famille avait rendus au trône que par affection pour sa cousine de Guise. Mais
ce jour, vous accédez à un titre véritable, fondé sur un domaine, ce qui vous
donne à la fois l’honorabilité d’un terroir, l’autorité d’un rang et la
sécurité d’un petit royaume dont vous serez le prince. Au surplus, si vous
gérez bien votre seigneurie, elle vous donnera aussi des revenus qui passeront
en importance ce que la paresseuse comtesse d’Orbieu pourra jamais espérer de
ses placements au denier vingt en Italie.
    — Mais pour cela, dit La Surie avec fougue, croyez-moi,
il ne faut pas commencer par aliéner vos droits seigneuriaux ! J’ai été
fort pauvre moi-même et, de grâce,

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