Les Roses De La Vie
ne me croyez pas impiteux ! Vous aurez
mille moyens d’adoucir la vie des plus misérables de vos manants mais, par tous
les saints ! ne touchez pas d’entrée de jeu aux droits coutumiers !
Le droit coutumier, dans le plat pays, est sacré ! Même ceux qu’il
désavantage y tiennent ! Vous ne tarderez pas à le constater.
*
* *
Dans le ministère des Barbons, le président Jeannin était
surintendant des Finances. Et par l’entremise de Déagéant qui se plaçait immédiatement
en dessous de lui et aspirait à le remplacer quand le Seigneur, vu son grand
âge, le rappellerait à lui, j’obtins, avec une célérité qui tenait du miracle,
les pécunes qui me permirent d’acheter sans tant languir le domaine d’Orbieu,
les lettres patentes relevant en ma faveur le titre de comte d’Orbieu m’étant
remises par le chancelier Sillery quasiment le lendemain de cet achat.
Ma belle lectrice voudra bien excuser le petit plaisir de
vanité que je me donnai alors en faisant graver les armes des comtes d’Orbieu
sur mon papier à lettres, sur mon sceau et sur les portes du carrosse que mon
père et La Surie, chacun donnant son écot, eurent l’immense bonté de me faire
don. Mais quoi ! Si on se refusait ces petits plaisirs qui nous font si glorieux
et si paonnants (et qu’un sage ascète en sa cellule trouverait à juste titre
infimes et ridicules), n’irait-on pas s’arracher de soi quelques soyeuses et
brillantes plumes qui concourent à notre quotidien contentement, alors que nous
avons tant de bonnes raisons, par ailleurs, de gémir en cette vie, y compris
sur sa brièveté ?
J’avais décidé d’aller prendre possession de mon bien le
onze février, lequel jour, étant un dimanche, me permettrait de rencontrer à la
messe dans l’église d’Orbieu les manants de mon domaine afin de les voir et
afin qu’ils me vissent. Mais, ayant demandé la veille mon congé au roi, il me
le refusa tout de gob, arguant qu’il y aurait ce dimanche-là un grand débat en
son Conseil des affaires sur le rétablissement des Jésuites à Paris et qu’il
voulait que j’y assistasse. À la réflexion, je n’en fus pas trop marri, car il
faisait un froid à geler les pierres et la pensée ne me souriait guère de faire
trotter tout le jour les beaux chevaux de mon carrosse sur les chemins glacés
du plat pays.
Cette question des Jésuites remuait excessivement le
Conseil, la Cour, les parlements, les ruelles de nos dames et il n’était en
France fils ou fille de bonne mère qui n’en voulût dire sa râtelée. Le lecteur
se ramentoit peut-être que le jeune Châtel, élève des Jésuites, attentât de
tuer Henri IV le vingt-sept décembre 1594, et ne réussit qu’à le blesser à
la lèvre. Ce qui permit au roi de faire sur l’heure, et la lèvre encore
saignante, une de ces gausseries qui faisaient tant pour sa popularité :
— Ce n’était donc pas assez que par la bouche de tant
de gens de bien, les Jésuites fussent réputés ne m’aimer pas. Fallait-il encore
qu’ils en fussent convaincus par ma bouche ?
L’enquête fit apparaître que le jeune Châtel, élève du collège
de Clermont à Paris, avait été de prime convaincu par son confesseur d’avoir
pratiqué la bougrerie et, au surplus, rêvé de commettre l’inceste sur la
personne de sa sœur. Les Bons Pères l’enfermèrent alors dans ce qu’ils
appelaient « la chambre des méditations », lieu sinistre, traversé de
lueurs verdâtres où retentissaient soudain des voix menaçantes et où
surgissaient d’épouvantables diables qui menaçaient de se saisir du malheureux
pour l’emporter dans les flammes. Par ces moyens surnaturels, on convainquit
Châtel que ses péchés l’amèneraient à coup sûr en enfer, s’il ne se rachetait
en accomplissant un exploit qui serait grandement utile à l’Église
catholique : par exemple tuer le roi, ce qui était loisible puisque, lui
enseignait-on, il était hors Église, ayant été excommunié comme hérétique par
le pape.
Après ces révélations, le Parlement traita l’affaire en un
tournemain, les Jésuites furent arrêtés, jugés et condamnés à l’exil douze
jours à peine après l’attentement de Jean Châtel. Mais Henri IV sentait
bien qu’il n’en avait pas fini avec eux. Et en effet, huit ans plus tard, le
pape exigea, pour l’absoudre de son excommunication, qu’il admît de nouveau les
Jésuites en son royaume. De force forcée, Henri les autorisa
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