Les Roses De La Vie
parmi eux ira penser que
vous êtes le comte d’Orbieu, si vous n’en avez pas la vêture ? Soyez
magnifique ! Mettez votre plus beau pourpoint ! Et de grâce !
Faites tout le voyage ococoulé dans le douillet de votre carrosse ! Il sera
toujours temps de faire comme le roi : monter à cheval seulement aux
abords de votre capitale pour y faire votre entrée et vous montrer à vos sujets
dans toute votre gloire !
Ce discours, en d’autres temps, m’eût donné à sourire, mais
je voyais bien que mon père était comme enivré de l’avancement de ce fils qu’il
préférait en secret à ses autres enfants, peut-être parce que, ne chevauchant
plus par monts et vaux au moment de ma naissance mais demeurant au logis, il
m’avait, moi, véritablement élevé. Je fus si touché d’une affection si profonde
que je décidai de m’en remettre entièrement à lui pour la circonstance, me
réservant de reprendre peu à peu la capitainerie de mon domaine, quand j’y
serai installé.
En plus de Monsieur de Saint-Clair, du chevalier de La Surie
et de moi-même, mon père voulut que nos soldats, Pissebœuf et Poussevent,
fussent de la partie, ainsi que mon page La Barge et mon cuisinier Robin, pour
une fois montés et armés en guerre. Mais comme à y réfléchir plus outre, il
trouva que « cette suite pour un comte était un peu maigrelette »
(pour le coup, vous eussiez cru entendre Madame de Guise !), il loua à ses
frais pour la durée de l’expédition quatre Suisses, robustes ribauds des
montagnes, dont la taille et la trogne faisaient, en effet, merveille, tandis
qu’ils trottaient devant nos carrosses sur leurs lourds chevaux.
Comme j’objectais qu’on ne pouvait imposer tant de monde à
l’hospitalité du curé Séraphin et non plus infliger à notre suite la fruste
pitance du cabaret d’Orbieu, il fut convenu qu’on s’installerait tout de gob au
château. Ce qui voulait dire qu’on emmènerait notre cuisinier Caboche et sa
femme Mariette et, pour les aider, au moins deux chambrières : Margot
(dont mon père, pour parler franc, ne pouvait plus se passer, tant elle
embellissait ses vieux jours) et Louison dont le lecteur, se peut, se souvient
qu’elle « faisait et défaisait mon lit » avant que régnât sur ma vie
la comtesse palatine.
Il va sans dire que, ne sachant comment les cuisines du
château étaient faites, Caboche ne voulut pas partir sans les instruments de
son art. En conséquence, une charrette fut prévue, tirée par de forts mulets
qui emporta marmites, chaudrons, pots, toumebroches, paelles à frire et que
sais-je encore ? À voir la queue de notre suite, vous eussiez cru une petite
armée partant en campagne.
On départit de Paris, le samedi vingt-quatre février 1618,
bien avant la pique du jour et on fit étape à Montfort l’Amaury, partie chez
mon oncle Samson de Siorac à Montfort même, partie en la seigneurie de mon père
au Chêne Rogneux où, on se ramentoit peut-être, je ne pouvais paraître,
l’épouse de mon père n’ayant consenti à me reconnaître pour son fils qu’à la
condition de ne me voir jamais. Je ne voudrais pas que le lecteur la jugeât
là-dessus. Mon père entendait, par cet artifice, protéger la réputation de
Madame de Guise tout en me donnant le bénéfice d’une naissance légitime. Mais
c’était peut-être de sa part beaucoup demander à une épouse qui demeurait fort
éprise de lui, bien qu’elle eût tant de raisons, au cours des ans, de ne l’être
plus. J’ai dit déjà que lorsque je rencontrai plus tard Angelina de Montcalm
après la mort de mon père pour en régler la succession, je me pris d’affection
pour elle quasi dans l’instant où je jetai l’œil sur sa personne, et elle, pour
moi. Elle touchait au grand âge déjà, mais sa profonde bénévolence, jointe à sa
noble nature, donnait à son sourire et à l’expression de ses yeux une beauté
que les meurtrissures de l’âge n’avaient pas entamée.
Ne pouvant, pour la raison que je viens de dire, me voir au
Chêne Rogneux puisque j’en étais banni, mes demi-frères, Pierre et Olivier, me
vinrent visiter chez mon oncle Samson de Siorac à Montfort l’Amaury. Tous deux
pratiquaient en association un des rares métiers – avec celui de
verrier – qui fût permis à des gentilshommes : le négoce maritime.
Mais leurs navires étant alors carénés en cale sèche à Nantes, ils se
trouvaient pour une fois désoccupés et dans le chaud du moment,
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