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Les Roses De La Vie

Les Roses De La Vie

Titel: Les Roses De La Vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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j’ignorais encore les multiples fonctions) d’introduire
ma parentèle pour qu’elle prît place sur les escabelles du premier rang. Cela
étant fait, Séraphin me fit passer par la seconde porte qui donnait sur le
chœur, mais non sans me donner au préalable quelques avis.
    — Monsieur le Comte, permettez-moi de vous dire comment
se comportait à la messe le feu comte d’Orbieu quand il lui arrivait d’être
présent dans la seigneurie. Il entrait le premier dans le chœur, le chapeau sur
la tête, l’ôtait pour se génuflexer devant l’autel et, le remettant aussitôt,
gagnait la chaire à baldaquin de l’évêque. Et là, debout, il baillait une
grande bonnetade au blason de sa famille qui est peint, comme vous ne faillirez
pas de le remarquer, sur un tableau qui fait face à la chaire. Après quoi, il
remettait son couvre-chef, s’asseyait et restait couvert jusqu’à l’élévation.
Peut-être dois-je expliquer ici que le salut à son propre blason était, dans
l’esprit du feu comte, un hommage à ses ancêtres dont tous, ou presque tous,
sont ensépulturés sous le chœur.
    — Monsieur le Curé, vous entends-je bien ? dis-je,
étonné. Proposez-vous que je l’imite ?
    — C’est bien, en effet, ce que j’oserais vous
conseiller, Monsieur le Comte, dit Séraphin avec un petit salut. Et la raison
en est que nos manants sont très attachés à l’usage. Même si vous n’avez aucun
lien de sang avec les comtes d’Orbieu, ils croiront plus volontiers à votre
légitimité, s’ils vous voient agir comme leur défunt seigneur.
    — Je ferai donc ainsi, dis-je après un moment de
silence, mais peut-être avec une petite nuance de mon cru.
    La face carrée et vermeille de Séraphin fit ici paraître une
lueur d’inquiétude qu’il n’alla pas toutefois jusqu’à exprimer. Au lieu de
cela, il me demanda si je ne désirais pas me recueillir avant d’entrer dans le
chœur. J’acquiesçai, et allant m’agenouiller sur un prie-Dieu qui faisait face
à un grand crucifix de bois, j’y demeurai un instant, moins occupé à prier qu’à
réfléchir.
    Je me trouvais étrangement troublé par le fait que le
pouvoir, que j’avais acquis en devenant le maître d’un petit royaume de cinq
cents arpents et de cinq cents âmes, eût pour premier effet de limiter ma
liberté. De toute évidence, cette seigneurie était un théâtre et j’y devais
présenter un personnage. Mon père m’avait imposé une vêture et ce jour d’hui,
le curé Séraphin, avec toutes les formes du respect, me dictait le rollet que
j’aurais à jouer au début et à la fin de la messe.
    À vrai dire, je n’avais aucune idée en pénétrant le premier
dans le chœur de « la nuance » que j’allais ajouter au cérémonial du
feu comte d’Orbieu. Et pour ne rien celer, ma gorge se noua comme celle d’un
comédien qui entre en scène, et d’autant plus que le chœur était surélevé de
deux marches par rapport à la nef, et se trouvait, en outre, brillamment
illuminé par des chandelles, alors que l’assistance, à part le premier rang,
demeurait dans la pénombre.
    La tête vide et quelque peu vertigineuse, je fis donc tout
comme Séraphin l’avait conseillé : la génuflexion à chef découvert devant
l’autel, et debout devant la chaire à baldaquin de l’évêque, la bonnetade aux
armes d’Orbieu, mais c’est là précisément qu’après m’être couvert, mon esprit
cessa d’être inhabité. Je trouvai absurde de saluer comme étant le mien le
blason d’une longue lignée de gentilshommes dont je ne descendais pas. Agissant
alors sous l’inspiration du moment, et avançant vers le premier rang de
l’auditoire à pas précautionneux, car je craignais, ne voyant pas les marches,
de trébucher dans le vide, je reconnus mon père à la croix du Chevalier du
Saint-Esprit qui brillait au milieu de sa poitrine. Me découvrant alors pour la
troisième fois, je lui fis un profond salut. À mon sentiment, cette
bonnetade-là à la fois complétait et corrigeait la précédente, puisqu’après
avoir rendu un hommage de courtoisie à la lignée dont je portais le nom,
j’honorais celle dont je procédais.
    En me retournant pour gagner la chaire de l’évêque,
j’aperçus, derrière son autel, le curé Séraphin et un peu en retrait Figulus
figé dans une attitude des plus humbles. La face carrée de Séraphin ne
reflétait que la gravité de la fonction sacerdotale qu’il se préparait à
assumer,

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