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Les Roses De La Vie

Les Roses De La Vie

Titel: Les Roses De La Vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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manquai pas de m’en apercevoir dans la suite, me parut loin
d’épuiser toutes les fonctions qu’il remplissait à Orbieu.
    Après moi, Séraphin salua les personnes de ma famille,
chacun selon son sexe, son âge et sa dignité, avec des nuances que n’eût pas
désavouées le Grand Chambellan. Il nous expliqua ensuite que seul je serais
assis dans le chœur et sur la chaire à baldaquin en principe réservée à
Monseigneur l’évêque, mais je ne devrais pas m’en faire scrupule, car de
mémoire d’homme, jamais soutane violette ne s’était hasardée dans les boues du
plat pays.
    Mon père, mon oncle, mes frères, La Surie, Saint-Clair et
les dames prendraient place sur des escabelles qui leur étaient réservées au
premier rang de la nef. Après la messe, Monsieur le curé me présenterait à ses
paroissiens, de prime en français, ensuite en patois, et serait heureux si, à
mon tour, je consentais à adresser à mes manants quelques paroles qu’il se
permettrait après moi de traduire.
    C’est à cet instant précis, lecteur, que je pris envers
moi-même l’engagement d’apprendre au plus vite la parladure de mes sujets. Que
diantre ! Il ne serait pas dit que moi, truchement ès langues étrangères
d’Henri IV en sa diplomatie secrète et reçu en cette capacité sous
Louis XIII au Conseil des affaires, je faillirais à maîtriser ce fruste
idiome qui n’offrait assurément pas les mêmes difficultés que la grammaire allemande,
la prononciation anglaise ou les verbes italiens ! Je ne voulais pas non
plus que mes sujets, si je leur posais en français une question qui les gênât,
fissent mine de ne pas l’entendre, tandis que avec toutes les apparences du
respect, en leur for ils me traiteraient de sot. Sans compter l’embarras
d’avoir à en appeler à Séraphin pour la moindre petite chose, afin qu’il
expliquât ce qu’on me disait ou ce que j’avais à dire. Que de lenteur dans les
ordres ! et que de retardements dans leur exécution ! Et comment
sous-estimer aussi le pouvoir que ce truchement perpétuel donnerait à Séraphin
sur moi, en plus de tous ceux qu’il détenait déjà en ma seigneurie.
    Ce n’est pas que je craignisse qu’il n’en abusât. En ce
premier entretien, j’eus le sentiment, confirmé par la suite, que j’avais
affaire à un homme droit qui tâchait de s’acquitter de son mieux des devoirs de
sa charge, ayant l’œil à ses intérêts, mais sans avarice, soucieux du salut de
ses paroissiens, mais aussi de leur humaine condition, de leurs heurs et malheurs,
et des tragédies qu’une mauvaise récolte ou une épidémie, ou une mort
accidentelle, pouvait entraîner dans leur fragile vie à qui le pain quotidien
posait déjà, d’un bout de l’année à l’autre, un problème prenant.
    De son physique, le curé Séraphin était un vif et puissant
gaillard, les épaules larges, la poitrine profonde, la voix forte et bien
timbrée (dont il tirait quelque vanité, quand il chantait la messe), le visage
carré, l’œil brun perçant, voire impérieux, le nez fort, la lèvre charnue, le
cheveu dru, le teint vermeil. Monsieur de Saint-Clair m’avait dit de lui qu’il
le croyait « sans penchant excessif pour la bouteille, ni faiblesse avérée
pour le cotillon ». Pourtant à observer son nez et ses joues, je me
demandais si ce carmin ne provenait que de l’air vif du plat pays, et à voir la
façon dont il avait regardé nos dames à leur entrée dans la sacristie – sa
paupière ne se refermant pas aussi promptement qu’elle eût dû sur l’éclat
soudain de sa pupille –, je me demandai s’il était bien « avéré »
qu’il n’eut pas non plus de faiblesse de ce côté-là. Mais après tout, était-ce
bien sa faute ? Ce n’est que sur le tard de mon âge que j’ai pu voir en ce
siècle éclore un peu partout des séminaires qui ont appris aux prêtres à
respecter leur célibat et, merveille plus grande encore, s’installer dans les
chaires épiscopales des prélats chastes qui surveillaient les mœurs de leurs
curés. Ceux-ci en sont-ils devenus pour autant meilleurs pasteurs de leurs
ouailles ? Je ne saurais dire. Je me suis toujours apensé que l’abstinence
était une vertu bien négative, si elle ne débouchait pas sur une plus grande
amour de l’humanité.
    La sacristie s’ouvrait par deux portes sur l’église. C’est
par la première qui donnait sur la nef que le curé Séraphin ordonna à son
servant Figulus (dont

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