Les Roses De La Vie
se peut très
pressés aussi par leurs épouses, ils me demandèrent de m’assister de leur
présence en mon installation à la tête du domaine d’Orbieu. Ce que voyant
l’épouse de Samson, Dame Gertrude du Luc, sa fidèle Zara et Madame de La Surie,
elles se joignirent à cette demande, et avec tant de poutounes et de caresses à
mon père et à moi que la requête ne pouvait qu’être acceptée.
Il était alors quatre heures de l’après-dînée et Monsieur de
Saint-Clair fit observer qu’il ferait bien, pour préparer le gîte et le couvert
de tant de gens, gagner incontinent Orbieu avec Caboche et le reste de nos
gens, et trouver bois, viandes et luminaires pour notre arrivée le lendemain.
On se ramentoit sans doute que le frère bâtard, mais reconnu
de mon père, Samson de Siorac, était renommé en ses vertes années pour sa
beauté, ayant le cheveu bouclé tirant sur le roux, des traits d’une perfection
antique et des yeux d’un bleu azuréen. Mais la nature, se peut par un excès de
largesse, avait doté Samson, au surplus, d’un caractère si évangélique qu’il ne
voyait jamais de mal à rien ni personne, tant il aimait l’humanité et avait
fiance en elle. Cette humeur si exceptionnelle, surtout à l’âge qui était
maintenant le sien, lui avait gardé un je ne sais quoi d’émerveillablement
enfantin qui le rendait charmant. Mais il faut bien avouer qu’étant fait d’une
étoffe qui le rendait si aveugle aux vilenies des hommes, il serait tombé dans
mille précipices, si son épouse Dame Gertrude du Luc ne l’avait, d’une main
ferme, guidé au milieu des embûches de la vie, étant devenue avec le temps à la
fois son épouse et sa mère.
La tête bien vissée sur ses normandes épaules et portant
haut encore (peut-être avec quelque léger artifice) ses tétins pommelants,
Gertrude devait à son premier mari d’être bien garnie en pécunes. Elles lui
avaient permis d’acheter pour Samson l’apothicairerie de Montfort que,
d’ailleurs, elle était censée ménager : sans cela Samson eût été déchu de
sa noblesse. Pour Gertrude, on n’y regardait pas de si près : par sa
naissance elle n’était noble que de robe.
Je fus dans le ravissement que les dames voulussent bien se
joindre à nous le jour de mon installation, ou comme disait La Surie avec un
petit sourire qui sentait encore « la caque », mon
« intronisation ». Il me semblait que le bruissement de leurs vertugadins
de soie, leurs affiquets, leurs perles, leurs parfums et jusqu’aux savantes
bouclettes de leurs coiffures ajouteraient un charme chaleureux à l’église du
village, où sur le coup de dix heures, le dimanche vingt-cinq février, je
serais, pour ainsi dire, « sacré » comte d’Orbieu devant les manants
de mon domaine. Quant à elles, j’entends mes deux belles-sœurs, Madame de La
Surie, Gertrude du Luc et Zara, elles n’étaient point fâchées d’être toutes
ensemble rassemblées, ayant sans doute beaucoup à se dire entre elles et
réunies en même temps avec mon père et moi-même qu’elles voyaient si peu
souvent. Il faut bien dire aussi que l’occasion pour elles était belle de
rompre la monotonie d’un hiver glacé dans le plat pays, en participant à un
événement mémorable dont la gloire allait rejaillir sur elles et leurs époux,
puisque ni Samson ni mes demi-frères, étant puînés, n’avaient de titre, tant
est que le mien et la proximité de mon grand domaine allaient ajouter au lustre
de leur lignage.
L’église, à ce que nous annonça Monsieur de Saint-Clair, qui
vint à notre rencontre sur le chemin de Montfort à Orbieu, était déjà pleine de
monde, et Monsieur le curé Séraphin désirait, avant que nous y pénétrions, nous
recevoir tous les onze à la sacristie. Ce qui fit fort notre affaire, car une
belle flambée y brûlait et fort peu celle de nos gens qui, en pénétrant tout de
gob dans l’église, trouvèrent tous les bancs occupés et durent rester debout
pendant l’office, serrés par manque de place à ne pouvoir glisser une épingle
entre eux.
Quand j’entrai dans la sacristie, Monsieur le curé Séraphin
m’accueillit avec tout le respect du monde, mais un peu comme un lieutenant
accueille dans ses quartiers un capitaine, avec cette nuance qu’en l’espèce, le
lieutenant détiendrait sur le capitaine l’avantage de parler parfois au nom de
Dieu. Je dis « parfois » car le spirituel dans la vie de mon curé,
comme je ne
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