Les Roses De La Vie
mais Figulus avait l’air quelque peu déquiété, se peut par la
bonnetade que j’avais baillée à mon père. Ce personnage avait, d’ailleurs, une
face étrange, longue et blême avec des traits affaissés, qui me faisait penser
à un cierge qui aurait coulé, et des yeux larmoyants qui s’abaissaient sur le
bord externe, comme en ont certains chiens, et qui lui donnaient, comme eux, un
air plaintif.
La messe commença et fut bien plus longue que je ne m’y
serais attendu car Séraphin, devant une aussi brillante assistance, ne put
résister au plaisir de se paonner de sa voix de basse. Du moins la longueur de
l’office me donna-t-elle le loisir de jeter quelque coup d’œil à la dérobée à
l’assemblée des fidèles, mes yeux ayant cessé d’être éblouis par le
scintillement des chandelles. Que je le dise en passant, la profusion de
celles-ci m’étonna jusqu’à ce que Saint-Clair m’apprît le lendemain, qu’à la
demande de Séraphin, c’était moi qui en avais fait les frais…
Pour parler à la franche marguerite, cette assemblée-là
puait excessivement, sans que pût remédier à cette puanteur, bien le rebours,
les parfums dont s’étaient vaporisés, à l’excès aussi, les dames et les
gentilshommes du premier rang. Et grand me parut le contraste aussi entre la
taille, la largeur et l’embonpoint des élus du premier rang, et l’apparence des
manants qui se trouvaient serrés sur des bancs derrière eux, et qui me parurent
non seulement plus petits, plus chétifs et plus malingres, mais aussi, pour un
assez grand nombre d’entre eux, déhanchés, bossus et malitornes… Quant aux
femmes, qui à vue de nez me parurent moins nombreuses que les hommes, elles
paraissaient habillées dans des sacs grisâtres, leurs bonnets étant si fort
rabattus sur leurs fronts qu’on ne pouvait distinguer leurs traits. Je fus
aussi très surpris de ne pas trouver une seule tête blanche, ou même
grisonnante, dans cette assemblée et beaucoup moins d’enfants que je ne m’y
serais attendu.
L’église d’Orbieu, qui datait d’un bon siècle, m’eût
enchanté par sa simplicité pleine de force, si le froid qui y régnait ne
m’avait glacé jusqu’aux os en dépit de la chemise de laine que j’avais pris
soin d’endosser sous mon pourpoint de soie. Et à vrai dire, je ne me sentais
pas fort heureux en cette intronisation, en raison et du froid et de ces
interminables chants latins de Séraphin, de la puanteur de l’assistance, contre
laquelle, seul, l’encens, quand Figulus l’eut jeté sur les charbons de bois de
sa cassolette, me parut lutter victorieusement. Mais cet encensoir que maniait
Figulus avec une sorte de pompe me devint presque aussitôt un objet de
scandale, quand après avoir dirigé sa fumée odorante dans la direction de
l’autel afin de rendre grâce au Créateur, Figulus vint se camper devant moi
pour m’encenser à mon tour. Je me doutais bien que c’était là un usage qui ne
datait pas d’hier et que les défunts comtes d’Orbieu qui dormaient sous nos
pieds l’avaient exigé ou, à tout le moins, accepté d’un curé flagorneur. Mais
pour moi, je ne laissais pas de trouver disconvenable, et j’oserais dire
dévergogné, qu’après avoir honoré le Seigneur Céleste on honorât pour ainsi
dire dans le même trot, et avec le même encens, le seigneur terrestre. Je
doutais fort qu’avec tout mon respect pour la coutume, je souffrirais longtemps
cette partie, fût-elle passive, de mon rollet.
Dès qu’il ne chantait pas, le curé Séraphin avait de
l’esprit et le montra dans la délicatesse émerveillable avec laquelle il fit
l’éloge, la messe finie, des comtes d’Orbieu et celui de mes ascendants :
le baron de Mespech dont la vaillance avait aidé le duc de Guise à reprendre
Calais aux Anglais, le marquis de Siorac, Chevalier du Saint-Esprit qui avait servi
Henri III et Henri IV dans de fort périlleuses missions. Quant à mon
ascendance féminine, il laissa entendre qu’elle était ancienne et illustre,
mais sans qu’on pût savoir s’il faisait allusion à Madame de Guise, ou à ma
grand-mère maternelle, dont les ancêtres Castelnau avaient participé aux
Croisades. Il déclina enfin tous les titres que j’avais acquis à la
reconnaissance de Sa Majesté Louis Treizième, en particulier quand il s’était
agi de débarrasser le royaume d’un usurpateur étranger.
Ayant dit tout ceci en français, Séraphin le répéta en
patois. Je
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