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Les Roses De La Vie

Les Roses De La Vie

Titel: Les Roses De La Vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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fus tout ouïe, mais à part les noms propres je n’y entendis pas un
traître mot. La longueur de cette glaciale messe (dont la froideur immobilisait
mes pieds dans mes bottes et pesait comme une chape sur mes épaules malgré le
manteau de soie doublé de fourrure que j’avais jeté sur elles) m’avait permis
tant bien que mal de préparer une petite harangue que je devais adresser à mes
sujets.
    Je la voulais, sinon aussi laconique que celles de Louis, au
moins assez brève pour ne pas lasser l’attention de l’assistance, laquelle
Séraphin avait déjà passablement fatiguée par ses psalmodies latines.
    Je me levai de ma chaire épiscopale et m’avançant jusqu’à la
première marche du chœur, j’appelai auprès de moi Monsieur de Saint-Clair et je
dis, en un langage simple et en articulant avec soin tous mes mots, dans
l’espoir peut-être vain que mon français serait entendu par quelques-uns :
    — Mes amis, le roi vous a donnés à moi, pour que je sois
votre seigneur. Servez-moi bien. Je vous serai bon maître. Je défendrai mes
droits et je respecterai les vôtres. J’ai remplacé l’intendant du feu comte
d’Orbieu et vous savez bien pourquoi. Monsieur de Saint-Clair sera mon
intendant. C’est un gentilhomme et il a trop d’honneur pour vous gruger. Vous
devrez, quant à vous, lui obéir comme à moi-même. Je vous fais aujourd’hui deux
promesses que je tiendrai : je viendrai vous voir souvent et avec votre
aide, je tâcherai de relever le domaine d’Orbieu. Dieu vous bénisse et vous
garde en santé.
    Ni en français, ni en patois – quand le curé Séraphin
l’eut traduit – ce discours ne provoqua chez l’auditoire la moindre
réaction de contentement ou de mécontentement. Vous eussiez cru que j’avais
parlé à des souches.
     
    *
    * *
     
    Caboche au château avait fait merveille. Il ne s’était pas
contenté de nous préparer un souper digne des « goinfres de la
Cour », il avait fait allumer des feux dans les cheminées de toutes les
chambres et les dames qui étaient transies poussèrent des cris de joie quand
elles s’y retirèrent. Pour moi qui avais invité le curé Séraphin à se joindre à
nous et à coucher cette nuit dans nos murs, je le priai, dès que notre repue
fut finie, de passer dans la librairie (on l’appelait ainsi, bien qu’elle
comptât fort peu de livres, les comtes d’Orbieu n’étant pas grands liseurs) et
je lui posai quelques questions auxquelles il répondit tout de gob à la franche
marguerite.
    — Monsieur le Comte, ne vous étonnez pas de n’avoir
point vu de tête chenue chez mes paroissiens. Ils meurent avant que la barbe et
le cheveu blanchissent, la plupart avant cinquante ans, et les femmes plus tôt
encore, du fait des couches. Il n’y a donc pas de grands-parents au village, et
c’est pitié, car ils rendraient de signalés services. Il n’y a pas non plus
beaucoup d’enfants. La moitié meurt avant d’avoir atteint l’âge d’un an. La
raison en est que le lait n’est pas bon, la mère étant si mal nourrie. En
outre, nos gens se restreignent fort. Un nouveau-né est mal accueilli, car il rogne
et rognera de plus en plus, en grandissant, la part de ses parents.
    — Ils se restreignent, Monsieur le Curé ? Et
comment ?
    — Monsieur le Comte, dit Séraphin avec un sourire, mes
paroissiens ne viennent pas me dire en confesse qu’ils pratiquent le coitus
interruptus, d’abord parce qu’ils ne savent pas le latin, et ensuite parce
qu’ils n’ignorent pas que c’est un péché. Et comme ils ne confessent pas ce
péché, poursuivit-il d’un air finaud, je ne peux pas le leur interdire. Comptez
que de cette manière-là, vous n’avez pas plus de deux ou trois enfants par feu.
    — Mes manants sont-ils donc si misérables ?
dis-je.
    — Oui, hélas, pour la plupart d’entre eux qui sont
manouvriers. Ceux-là n’ont qu’un petit lopin, une petite chaumine enfumée où
bêtes et gens se côtoient et ne vivent qu’en louant leurs bras. Mais vous avez
aussi sur votre domaine cinq ou six riches laboureurs qui possèdent des arpents
assez pour vivre bien. Ceux-là, que la récolte soit bonne ou mauvaise, ils s’en
tirent toujours.
    — Même quand elle est mauvaise ?
    — C’est que les laboureurs que j’ai dits embauchent
alors moins de manouvriers et en profitent pour les payer moins. Après quoi,
ils ne vendent pas leur blé. Ils attendent que son prix monte et quand il est
haut assez, ils le

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