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Les Roses De La Vie

Les Roses De La Vie

Titel: Les Roses De La Vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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comme d’autres le sont de glèbe. Mais ce peu me suffit et
je ne voudrais pas qu’il vienne à me manquer.
    À quoi je n’eus d’autre réponse que prendre mon Figulus par
le bras, le mener à une chaire devant le feu, et l’y faire asseoir quasiment de
forcé forcée. Cela fait, m’asseyant en face de lui, je lui dis d’un ton à la
fois ferme et enjoué :
    — Nenni, Monsieur le Vicaire, je ne veux point de
défaite : je suis seigneur en ce domaine, et je désire savoir ce qui s’y
passe, puisqu’aussi bien c’est sur les récoltes de mes manants et les miennes que
l’Église prélève sa dîme.
    — Ah Monsieur le Comte, vous n’êtes pas dîmable,
puisque vous ne travaillez pas « de vos mains » et n’êtes pas censé
jouir matériellement des fruits de la terre : ce sont vos fermiers et
métayers qui supportent la dîme.
    — Néanmoins, si on écorne la récolte de mes fermiers,
ne suis-je pas moi aussi quelque peu plumé ?
    — Non, si vous prenez, Monsieur le Comte, la précaution
de demander votre part au fermier de la récolte avant le passage du décimateur
de l’évêque.
    — Et le peux-je, légalement ?
    — Nenni, c’est interdit. Le décimateur doit passer en
premier. Mais il y a des arrangements…
    — Le décimateur ! Quel nom sinistre ! Ne
croirait-on pas qu’il va décimer toute une population !
    — Ah Monsieur le Comte ! Le décimateur n’a pas
besoin d’armes pour cela. C’est, bien le rebours, une personne grave,
consciencieuse, et qui n’offense personne. Il exige le dû de l’Église, et rien
que le dû, et très à la douceur, et sans élever la voix.
    — Et comment cela se passe-t-il ?
    — Eh bien ! le jour de la moisson, on dispose les
gerbes par tas de neuf, puisqu’ici la dîme est au neuvième et on attend la
charrette du décimateur, laquelle apparaît enfin, tirée par de maigres vaches,
conduite par un manouvrier tout aussi maigre qu’elles et escortée par ledit
décimateur vêtu de noir, le cheveu ras, la face austère. Il est monté sur une
modeste mule, démonte, salue les moissonneurs et, parcourant les champs
moissonnés, prélève une gerbe par tas, son manouvrier les portant jusqu’à la
charrette. Après quoi, le décimateur salue gravement la compagnie, remonte sur
sa mule, et s’en va, tous le suivant de l’œil.
    — Non sans hargne, je gage !
    — Oh ! il n’y a pas eu que la hargne, au cours du
temps ! Mais bel et bien des révoltes et elles furent noyées dans le sang.
    — Et ce jour d’hui ?
    — Ce jour d’hui, Monsieur le Comte, il y a la
trichoterie, la sainte trichoterie !
    — Eh quoi ! Monsieur le Vicaire ! dis-je en
riant, vous l’appelez ainsi ?
    — Je suis tenté de l’appeler ainsi, car sans elle nos
paysans ne pourraient pas survivre.
    — Et comment trichent-ils ?
    — De mille manières. Par exemple, si le temps est sec
assez, ils s’arrangent pour ne finir la moisson qu’à la nuit tombante, et
pendant la nuit, ils viennent se dérober à eux-mêmes quelques gerbes qui
échapperont le lendemain à la dîme.
    — C’est bien pensé.
    — Ou encore, dans les tas de neuf gerbes qu’ils
dressent, ils dissimulent les grosses gerbes au centre et disposent les maigres
autour, là où les prendra le décimateur.
    — Ce n’est pas sot. Et quels fruits de la terre,
Monsieur le Vicaire, sont dîmables ?
    — Mais tous, Monsieur le Comte ! D’abord toutes
les sortes de blé, puis la vigne, les noyers, les arbres fruitiers, les peaux
de bêtes, les lins, les chanvres, la laine, et le croît du bétail.
    — Qu’entend-on par le croît du bétail ?
    — Les jeunes bêtes nées dans l’année.
    — Toutes ?
    — Toutes, sauf celles que la trichoterie parvient à
dissimuler.
    — Mais comment l’Église peut-elle justifier une picorée
d’une telle ampleur ?
    — Monsieur le Comte, peux-je vous ramentevoir que ce
n’est pas elle qui l’a instituée, mais Charlemagne qui, l’ayant spoliée d’une
grande partie de ses biens fonciers, voulut lui apporter une compensation.
    — Une compensation sur le dos des manants.
    — Et sur qui d’autre, Monsieur le Comte ? dit
Figulus, un mince sourire apparaissant sur sa face blême.
    Ce qui voulait dire en langue claire que Charlemagne
n’allait pas imposer ce fardeau à sa noblesse, ayant tant besoin de ses Preux.
    — Tout du même, Monsieur le Vicaire, repris-je, ne
croyez-vous pas qu’il faudrait à cette énorme

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