Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Roses De La Vie

Les Roses De La Vie

Titel: Les Roses De La Vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
l’odeur qui émanait de ces logis, où
bêtes et gens cohabitaient, était forte, et grande, la crainte que la contagion
de l’air inspirait à mon père. Mais je n’obtins que peu de succès dans ces
entretiens, car à part quelques laboureurs aisés qui parlaient le français
assez mal, je vis bien que la majorité des manants que j’accostais n’entendait
pas la langue de Montaigne, ou bien feignait, par peur ou ruse, de ne pas en
connaître un traître mot. J’eus l’impression aussi que chez les plus pauvres de
ces gens, une méfiance séculaire à l’égard du seigneur avait de fortes racines
et qu’ils n’attendaient rien de moi, et surtout rien de bon.
    Ayant ouï que Figulus autrefois avait composé un glossaire
manuscrit de la parladure de ce pays, je lui dépêchai La Barge pour qu’il me le
prêtât et je fus surpris, à le lire, de la qualité de cet ouvrage qui, outre
une longue liste de mots et la façon de les prononcer, comportait une petite
grammaire et une riche collection de proverbes et d’expressions du terroir. Je
conçus beaucoup d’estime après cette lecture pour ce Figulus dont le long
visage blême m’avait fait penser de prime à un cierge et les yeux larmoyants, à
ceux d’un chien. Je le priai de me venir visiter et je lui précisai, dès qu’il
arriva, combien j’appréciais son œuvre. Il en fut si heureux que sa face
longue, mélancolique et fermée s’éclaira aussitôt.
    — C’est l’ouvrage de plusieurs années, Monsieur le
Comte, dit-il. Je l’ai commencé du temps du feu curé d’Orbieu, l’oncle de
Monsieur Séraphin, dont j’étais déjà le vicaire.
    — Comment ? dis-je, Monsieur Figulus, seriez-vous
prêtre ? À voir toutes les humbles tâches que vous accomplissez en cette
paroisse, je vous croyais diacre ou sous-diacre.
    — Je suis prêtre, dit Figulus, avec un modeste orgueil.
Mais comme il n’y a personne que moi pour s’acquitter des tâches que vous
dites, il faut bien que je m’en charge. Je suis donc à moi seul dans cette
paroisse, l’acolyte, le bedeau, le sacristain, le sonneur de cloches, le
catéchiste, le fossoyeur et le maître d’école.
    — C’est là un grand labeur, Monsieur Figulus, et c’est
aussi bien du mérite. J’espère que l’évêché vous en récompensera en vous
donnant un jour la cure que vous méritez.
    À quoi Figulus sourit tristement.
    — Nenni, Monsieur le Comte, je ne serai jamais curé.
    — Comment cela ?
    — Je n’ai pas les pécunes qu’il y faut.
    — Comment, dis-je béant, il y faut des pécunes ?
    — Assurément. Le postulant ne peut espérer recevoir une
cure de l’évêché, s’il ne possède déjà en toute propriété une rente annuelle
d’au moins cinquante livres. Ce qui suppose un capital d’au moins mille
livres ! Je ne l’ai point et étant sans parent aisé et sans protecteur, je
ne l’aurai jamais.
    — Et Monsieur le curé Séraphin, lui, possédait cette
somme ?
    — Oui-da ! Son oncle, sentant sa fin prochaine,
lui résigna sa cure, mais cette résignation eût été sans effet, s’il ne lui
avait pas, en même temps, constitué sur ses deniers la rente que j’ai dite. Dès
lors, sa nomination par l’évêché ne faisait aucun doute.
    — Je vous avouerai, dis-je au bout d’un moment, que je
suis quelque peu scandalisé d’une règle qui veut que le représentant du Christ
dans un village soit d’abord un rentier.
    Figulus leva à la fois les sourcils et les épaules, ce qui
voulait dire, je suppose, qu’il ne voulait ni blâmer son Église, ni vraiment
l’approuver.
    — La hiérarchie, dit-il, estime sans doute que le curé
d’un village ne serait pas respecté par ses ouailles, s’il était pauvre.
    — Mais, serait-il pauvre, même sans ce capital ?
Le curé reçoit, me semble-t-il, des monnaies pour les baptêmes, les communions,
les mariages et les ensépultures.
    — Assurément, dit Figulus, c’est ce que nous appelons le
casuel, et ce n’est pas négligeable, même dans un village, où les gens étant si
pauvres mettent si longtemps à payer – quand ils payent.
    — Mais, Monsieur le Vicaire, il y a aussi la dîme…
    — Ah ! la dîme ! s’écria Figulus en levant
les bras au ciel. Il y a beaucoup à dire sur la dîme ! Mais, excusez-moi,
Monsieur le Comte. Je ne voudrais pas là-dessus ouvrir le bec plus qu’il ne
faut. Ce serait fort périlleux pour moi. Je gagne peu, étant une sorte de
manouvrier d’église

Weitere Kostenlose Bücher