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Les Roses De La Vie

Les Roses De La Vie

Titel: Les Roses De La Vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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bailler mon
congé ? Monsieur le curé Séraphin pourrait prendre des soupçons et des ombrages,
si je demeurais plus longtemps avec vous.
    Voilà qui me donna fort à penser sur le curé Séraphin, mais
je me gardais d’en rien laisser paraître et dis, la face imperscrutable :
    — Dites à Monsieur le curé Séraphin que, d’ores en
avant, je veux vous recevoir ici chaque matin pour des leçons de parladure
paysanne, lesquelles nous avons, de fait, commencées aujourd’hui. Et ne lui
dites point que je vous les ai rémunérées à l’avance.
    Ce disant, je lui mis un écu dans la main. Jamais je ne vis
homme plus effaré. Figulus envisagea l’or briller de tous ses feux dans le
creux de sa main comme s’il ne parvenait pas à croire à son existence. Et,
chose étrange, ses yeux prirent peu à peu un air si malheureux que je crus
qu’il allait me rendre la pièce.
    — Monsieur le Comte, dit-il enfin d’une voix étouffée,
si c’est là, comme je crois, un écu, je n’en ai pas l’usage.
    — Comment cela ? Vous n’en avez pas l’usage,
Monsieur Figulus ? Cette pièce ne peut-elle ajouter quelques morceaux de
lard à votre potée ?
    — Si fait, Monsieur le Comte ! Mais il faudrait
auparavant la changer en soixante petits sols, et à qui m’adresserais-je pour
la changer, sinon à Monsieur le curé Séraphin ou, qui pis est, à un riche
laboureur, tant est que tout Orbieu le saura, et j’attirerais sur ma tête tant
de bile, d’envie, de méchantise et de persécution que je devrais à la longue
quitter le pays.
    Ma fé ! m’apensai-je, en est-il donc de ce village
comme de la Cour ? Dès qu’un bonheur, ou un avantage, vous échoit, tout un
chacun vous veut du mal.
    — Eh bien, dis-je promptement, nous n’allons point pour
si peu nous mettre martel en tête. Je serai votre changeur.
    Et lui reprenant la pièce des mains sans qu’il osât bouger,
je lui comptai soixante sols, lesquels, sortant de sa torpeur, il répartit fort
soigneusement dans les quatre poches de sa soutane, laquelle était si râpée et
montrait à ce point la corde qu’il n’osait plus, je gage, la brosser de peur
qu’elle ne tombât en morceaux.
    Quand je contai cet entretien à mon père, il hocha la tête
et me dit :
    — La dîme n’est pas le pire pour le paysan, mais la
taille du roi. Car la dîme se paye en nature, et la taille, en pièces de
monnaie et ces pièces, le paysan en a fort peu. Même s’il se prive de manger
pour vendre son lait, ses œufs et ses poulets, il lui manquera toujours
cinquante-neuf sols pour faire un écu.
    — Et le cens dû au seigneur ?
    — Il se paye en nature, et cet impôt-là n’est pas à
mettre sur le même pied que la dîme et la taille, d’autant qu’en hiver le
paysan peut donner de son travail pour s’en acquitter.
    — Figulus, dit La Surie tout à trac, souffre du pire
malheur qui puisse échoir à un homme : celui d’avoir beaucoup de mérites
et de savoir que ces mérites ne seront jamais reconnus.
    — Dieu merci, les vôtres l’ont été ! dit mon père
après un moment de silence.
    Puis, se tournant vers moi, il ajouta :
    — Pour Figulus, vous avez bien agi et cet écu-là est
bien placé. Cultivez le vicaire, il vous sera utile ! chacun de vos
séjours futurs à Orbieu, le curé Séraphin vous peindra l’endroit du décor, et
Figulus, l’envers.
     
    *
    * *
     
    Je quittai Orbieu, emportant dans mes bagues, outre le
glossaire de Figulus, quelques illusions en moins et quelques lumières en plus,
car il m’était devenu tout à plein évident que je ne ferais pas de ma
seigneurie ce que je voulais qu’elle fût sans dépenser prou, non seulement en
pécunes, mais en temps, en séjours prolongés, et en soins et soucis infinis.
    Je ne suis pas impiteux à la misère des hommes, ni à
l’hasardeuse injustice qui fait naître les uns dans une chaumine et les autres
dans un palais avec ses ors, ses soies, ses miroirs, ses lustres et ne leur
laisse d’autre occupation – du moins en temps de paix – que de nouer
de plaisantes intrigues avec les dames les plus belles, les plus expertes, et à
coup sûr, les mieux nourries du royaume. Je ne suis pas non plus un Bérulle, un
Vincent, un François de Sales, et je ne cache pas que si je désire rendre
prospère mon domaine d’Orbieu, c’est de prime pour moi-même. Mais je ne
voudrais pas non plus asseoir cette prospérité sur la misère de mes manants,
mais bien au rebours,

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